Au fil de mes années “internet”, je suis passé de l’enthousiasme débridé à la paranoïa complète : je n’utilise aucun service Google depuis plus de dix ans, j’ai troqué en 2017 mon iPhone pour un téléphone Android sous Lineage OS microG, je ne vais sur Facebook que très exceptionnellement, uniquement en consultation, je me suis largement désintoxiqué d’Amazon, et j’ai remplacé Windows par Debian Linux sur mon PC perso.
Pourtant, malgré ces efforts dérisoires (pour eux, pas pour moi), je dois reconnaître ma défaite : les GAFAM savent tout de moi.
Car mes mails finissent à chaque fois dans la boîte Gmail d’au moins un interlocuteur ; quand elle ne communique pas avec Siri, ma femme distille sur Messenger notre vie privée à ses proches (mais à Facebook aussi du coup) ; les livres en anglais que je ne trouve que sur Amazon en disent plus sur mes opinions que mon avis d’imposition ; et professionnellement je suis contraint d’intervenir sur LinkedIn et GitHub (appartenant tous deux à Microsoft, je le rappelle).
Et sur qui compter pour protéger mes données personnelles ?
Sur l’Europe ? avec son RGPD, grâce auquel chacun est “libre” de communiquer ses données en un seul clic (ce que font 95% des internautes), mais où il en faut une dizaine pour refuser individuellement chaque option de suivi ?
Sur les hommes politiques ? qui adoptent au fil du temps les mêmes techniques marketing que les entreprises privées et raffolent de plus en plus de nos données personnelles ?
Sur notre famille, nos amis, nos proches, nos employeurs ? séduits par la facilité et le confort de cette soumission informationnelle et disposant très rarement des connaissances nécessaires pour se protéger ?
Bien sûr, l’éducation pourrait faire changer les choses, mais, quand le ministère de la défense lui-même reste en contrat “open bar” avec Microsoft depuis des dizaines d’années, qu’attendre de la part de l’État ?
Et même, rêvons, imaginons que tout ce petit monde fasse preuve de bonne volonté et se décide à agir, avec force et conviction, chacun à son niveau ; cela reste peine perdue : les données fuient de partout.
Rien que ce mois-ci, février 2020 (et nous ne sommes que le 23), petit florilège non exhaustif :
- les données personnelles de 6,5 millions de votants israéliens dévoilées
- MGM, une société exploitant des hôtels et casinos, a reconnu avoir été victime d’une attaque portant sur les données de quelques 10,6 million de clients
- une base de données de 1,2 millions clients de SpiceJet, une compagnie aérienne low-cost, a été récupérée par un hacker
Mais évidemment cela reste peu de chose face à la base de données d’une société marketing comme Axciom qui se targuait en 2018 de reconnaître 2,2 milliards de consommateurs et possédait 20 milliards d’enregistrements clients avant d’être “désactivée” par Facebook.
Car sous couvert de protéger les données des utilisateurs, les GAFAM ne font que les concentrer en interdisant à tout autre acteur de venir les concurrencer.
Ainsi, Criteo, concurrent (et rare “licorne” française) de ce secteur publicitaire, a d’abord souffert de la désactivation des cookies tiers par Apple en 2017 puis des nouvelles contraintes imposées par Facebook qui l’ont conduit à porter plainte devant l’autorité de concurrence en septembre 2019 avant d’être de nouveau malmené, par Google cette fois, le mois dernier.
Pour faire face à cet oligopole informationnel, certains proposent une solution radicale : interdire la publicité (pub pour antipub). Je rejoins leur analyse mais vouloir mettre un terme à ces pratiques, c’est, de mon point de vue, s’attaquer à des forces économiques, politiques et même sociales irrésistibles.
D’autres tentent de proposer des services alternatifs, décentralisés le plus souvent, mais tellement confidentiels (merci Framasoft et consors).
D’autres, enfin, prennent pour un fait acquis l’accaparement de nos données personnelles par les GAFA, et entendent seulement les faire payer pour la possession de ces données. Pour le prix dérisoire d’une dizaine d’euros par an et par personne, nous consacrerions ainsi la situation hégémonique de ces différents acteurs.
Bien que très insatisfaisante, cette dernière proposition m’a toutefois conduit à en envisager sérieusement une autre, qui est son exact contraire : mettre mes données personnelles en “open data”.
Pas nécessairement l’intégralité de mes données personnelles, mais celles satisfaisant au principe qu’une information me concernant, connue d’un organisme tiers (privé ou public), doit être connue de tous.
Et cela en fait déjà un certain nombre : nom, adresses, données physiques, physiologiques, génétiques, situation matrimoniale, données de consommation, patrimoine, relevés bancaires, fiches de paie, impôts et taxes versés, préférences politiques, etc.
Je ne le cache pas, la perspective de rendre publiques de telles informations me concernant me met extrêmement mal à l’aise. D’autant que je n’ai pas une idée claire des retentissements que cela pourrait avoir sur ma vie personnelle, familiale ou professionnelle.
Mais, à supposer que cette initiative se diffuse (sur la base d’une démarche volontaire de chacun bien sûr), n’est-ce pas une opportunité, peut-être la seule, de saper les bases de la domination écrasante des GAFAM ?
Et ne serait-ce pas, en même temps, offrir aux chercheurs, aux sociologues, aux économistes, aux scientifiques de tous horizons, un terreau fertile pour leurs travaux et recherches, sans aucun coût d’acquisition ?
J’ai conscience du caractère dérangeant de cette proposition, qui va à l’encontre de tout ce que défend le PP, et d’une partie de ses risques, mais j’espère avoir explicité mon cheminement sur ce sujet et peut-être certains parmi vous trouveront un intérêt à en débattre.