Coucou ici,
Même si c’est un sujet qui a été quasiment invisible sur le Discourse, on a ÉNORMÉMENT parlé de l’incendie de l’usine Lubrizol à Rouen sur le Discord, la communication ratée qui a suivi de la part de la préfecture, et toute une variété d’autres choses. Comme on entend de nombreuses, très nombreuses choses souvent contradictoires (merci les réseaux sociaux) sur ce qui se passe, la toxicité, le danger pour la population, etc., on m’a à plusieurs reprises demandé mon avis de chimiste sur la question (ouais, je sais, argument d’autorité, désolé ).
Comme la chimie organique (la chimie des trucs dégueulasses qui tuent la planète, pour faire de la vulgarisation niveau TF1) est globalement ma spécialité, et que la toxicologie m’intéresse, je suis allé creuser un peu plus pour me faire un avis, et le donner (dans ma grande générosité) comme il semblait intéresser quelques personnes, au moins sur Discord. Le contexte d’aujourd’hui, c’est que les premiers résultats un peu fiables des concentrations mesurées pour des tas de choses sont tombés, et que du coup on a enfin des choses concrètes à se mettre sous la dent. Du coup, je suis allé creuser sur les rapports de l’organisme de mesure de la pollution atmosphérique de Normandie, le communiqué du ministère, et mes propres sources en toxico, et j’ai fait un pavé sur Discord sur ce que je pense pouvoir expliquer. Et comme j’avais pas envie qu’il se perde, je vous le partage ici
En bref je suis loin d’être un expert, mais si vous avez des questions j’essaierai d’y répondre de façon raisonnable, ou à défaut vous dire pourquoi je suis pas sûr. Après tout, on sera fixé sur tout ça seulement dans plusieurs mois. Le sujet ici est les risques immédiats. Voici donc le pavé, un peu complété :
Bon, après avoir creusé, la seule chose constatée directement étant des odeurs fortes un peu partout en ville (et encore) : ce qui pue c’est le Mercaptan (CH3SH) qui a été relâché en faibles quantités, mais qui est très léger et donc dispersé très vite très facilement (d’où les multiples signalements d’odeurs dans la ville). Néanmoins, ce qu’il faut comprendre c’est que le seuil pour le sentir est de 1 ppb , autrement dit c’est un des produits chimiques les plus odorants toutes catégories confondues . Il est normal que l’odeur soit insupportable à doses mêmes infimes. Néanmoins, même s’il est toxique, le seuil de toxicité à exposition prolongée est des centaines de fois supérieur au seuil olfactif, et le seuil de danger à exposition ponctuelle est des dizaines de milliers de fois plus élevés que le seuil olfactif. Autrement dit, il est certain qu’on est loin des doses toxiques.
Fun fact : l’autre truc qui m’inquiétait dans les rejets potentiels, c’était le dioxyde de souffre; mais quand on atteint les doses toxiques pour ce composé qui a le défaut de rester proche de la surface, le premier truc qui se passe c’est la perte d’odorat; du coup que la seule gêne constatée par tout le monde soit des mauvaises odeurs assez fortes, c’est plutôt bon signe !
Blague à part, comme des tas de guignols agitent cet épouvantail : il y avait très peu de produits chlorés dans l’usine, ils sont tous bien connus (je jouais à la dinette avec eux en labo) et même si leurs fiches de sécurité ont l’air terrifiantes, elles le sont si vous sniffez la bouteille par le goulot. Ceux qui ont cramé ne sont plus une menace, et ceux qui ont pas cramés sont tellement volatiles qu’ils étaient déjà plus là le 26 dans l’après-midi.
En outre, concernant tout le reste, les noms qui font peur comme benzène, xylène, toluène, et qui sont clairement les principaux trucs qui ont cramé avec d’autres alcanes linéaires (usine d’additifs, d’huiles et de lubrifiants mécaniques oblige, ce sont respectivement les solvants employés pour la fabrication et les bases chimiques des produits fabriqués), mais aussi tout les autres trucs aux noms plus obscurs, il n’y a clairement pas de raison de s’en faire. Ce qui a cramé a déjà été transformé en CO2, CO, et C (suies) qui en espaces ouverts volent très loin; il n’y a pas de raisons qu’il y ait de retombées toxiques de produits chimiques. Ce qui n’a pas cramé a été très, très bien contrôlé dans l’air, et aucune dose ne représente un motif d’inquiétude quelconque.
Il en est de mêmes pour les oxydes d’azote (NOx), qui ont été surveillées même s’il n’y avait pas de raison qu’on les trouve plus qu’habituellement en agglomération (la faute aux vilaines voitures diesel, bouh !). Au sujet de l’amiante, j’ai pas encore d’infos utiles. Il y avait de l’amiante dans la structure de l’usine, elle a cramée, du coup des poussières ont été rejetées, oui; mais souvenez vous, en exposition ponctuelle l’amiante on s’en fout un peu, c’est en répété des années durant que ça vous tue à petit feu. Et concernant les gens qui crient à la contamination radioactive, si vous êtes pas full conspi vous vous doutez normalement que c’est des conneries. Si vous avez un doute : c’en est.
Le seul truc chiant, c’est les suies qui salissent la nature environnante; mais elles n’ont rien de différent de celles venant de n’importe quel gros incendie pour le coup. C’est moche, chiant pour l’agriculture et la nature, mais bon, c’est plus là dans quelques mois et ça empoisonnera pas les sols non plus. Le pire, à savoir la contamination de la Seine, a été complètement évité.
En bref, je persiste et signe : TOUT VA BIEN, en tout cas au vu des infos qu’on a actuellement; et je pense qu’on a assez d’éléments pour considérer sans crainte que ça va rester le cas. D’autres analyses sont à venir, il faudra les surveiller de près, mais il n’y a pas de raison d’être plus inquiet que ça (la pollution due aux automobiles et au chauffage tuera elle des dizaines de personne à Rouen cette année comme tous les ans, mais ça on s’en fout dans les médias en général).
c’était long