Il semble acquis que, comme le nucléaire ne fonctionne pas avec un facteur de charge de 100%, le réseau électrique français bénéficie logiquement d’une capacité de production non utilisée qui pourrait notamment servir au minage de cryptomonnaie. Cependant, une analyse approfondie du cycle de fonctionnement des centrales nucléaires et des dynamiques du marché de l’électricité révèle que cette vision est simpliste et ne tient pas compte de plusieurs facteurs cruciaux. En réalité, la gestion de l’énergie nucléaire est bien plus complexe et nécessite une compréhension fine des contraintes techniques, économiques et environnementales.
1. Gestion du Combustible Nucléaire
Cycle de Combustible : Les centrales nucléaires fonctionnent avec des cycles de combustible qui durent généralement entre 18 et 24 mois. Pendant cette période, elles doivent gérer leur stock de combustible pour garantir une production continue et répondre aux pics de demande.
Épuisement Accéléré : Augmenter le facteur de charge pour produire plus d’énergie entraîne une consommation plus rapide du combustible, ce qui épuise le stock plus tôt. Cela nécessite un rechargement de combustible plus fréquent, une opération complexe qui peut durer plusieurs semaines. Ce processus risque de rendre la centrale incapable de répondre aux besoins énergétiques critiques, comme les pics hivernaux, car elle ne peut pas produire d’énergie pendant cette période.
2. Variabilité de la Demande Énergétique, Effacement et Marché
Adaptation à la Demande : La production d’énergie nucléaire est ajustée en fonction de la demande. En période de faible demande, les centrales peuvent réduire leur production pour éviter un excès d’énergie sur le réseau.
Effacement et Gestion de la Production : Les centrales nucléaires peuvent réduire leur production pour maintenir l’équilibre offre/demande, notamment lors des pics de production des énergies renouvelables intermittentes. Cela permet de retarder le rechargement et de vendre l’électricité à des moments où les prix de marché sont plus favorables. En réduisant leur production, elles consomment moins de combustible, prolongeant ainsi la durée du cycle de combustible.
Coût Marginal et Flexibilité : Le coût marginal de production du nucléaire est relativement bas, mais les centrales doivent couvrir leurs coûts fixes. Les variations de prix sur le marché de l’électricité peuvent être exploitées par des consommateurs flexibles, comme les mineurs de Bitcoin, pour acheter de l’électricité à bas prix. Cependant, cela nécessite une grande adaptabilité pour tirer parti des périodes de faibles prix sans compromettre la stabilité du réseau.
Impact des Mineurs de Bitcoin : Il est pertinent de se demander si les mineurs de Bitcoin arrêteront réellement leurs activités en se basant uniquement sur le prix d’achat de l’électricité. Leur présence sur le réseau pourrait-elle renchérir l’électricité pour tous les autres consommateurs ? Cette question souligne le besoin d’une régulation et d’une gestion prudente pour éviter des impacts négatifs sur le marché de l’électricité.
3. Maintenance et Rechargement
Périodes de Maintenance : Les centrales nucléaires subissent des périodes de maintenance régulières, pendant lesquelles la production d’énergie est réduite ou arrêtée. Ces périodes sont cruciales pour assurer la sécurité et l’efficacité de la centrale, mais elles limitent la disponibilité de l’énergie.
Rechargement du Combustible : Le processus de rechargement du combustible peut durer plusieurs semaines. Pendant cette période, la centrale ne peut pas produire d’énergie, ce qui rend l’idée d’un surplus continu irréaliste.
4. Optimisation des Ressources et Impact Environnemental
Efficacité Énergétique : L’objectif principal des centrales nucléaires est de fournir une énergie stable et fiable. Utiliser l’énergie pour le minage de Bitcoin pourrait être vu comme une optimisation des ressources, mais cela doit être fait sans compromettre la capacité de la centrale à répondre aux besoins énergétiques essentiels.
Impact Économique et Environnemental : Bien que le minage de Bitcoin puisse générer des revenus, il est crucial de considérer les impacts économiques et environnementaux globaux. Vendre l’électricité excédentaire à des pays voisins utilisant des énergies plus polluantes, comme le charbon, pourrait avoir un impact environnemental plus positif.
Conclusion
L’idée selon laquelle les centrales nucléaires disposent d’un surplus d’énergie pouvant être utilisé pour le minage de Bitcoin mérite une analyse approfondie. Les centrales nucléaires doivent gérer leurs ressources de manière à garantir une production stable et fiable, en particulier pendant les périodes de forte demande. L’effacement face aux énergies renouvelables et les dynamiques du marché montrent que la gestion de l’énergie nucléaire est complexe et nécessite une planification minutieuse.
Bien que l’utilisation de l’énergie excédentaire pour le minage de Bitcoin puisse offrir des opportunités économiques, il est essentiel de considérer les impacts potentiels sur la stabilité du réseau électrique et sur l’environnement. Une approche équilibrée, intégrant les besoins énergétiques de tous les consommateurs et les objectifs de décarbonation, est nécessaire pour évaluer la viabilité à long terme de cette utilisation.
De plus, même si un surplus d’énergie existait, il pourrait être plus judicieux de l’utiliser pour soutenir des initiatives réduisant la dépendance aux énergies fossiles, comme aider nos voisins européens à diminuer leur consommation de charbon. En fin de compte, la gestion de l’énergie nucléaire doit être envisagée dans une perspective globale, en tenant compte des enjeux économiques, environnementaux et sociaux.
My two cents : c’est pas à l’État ou aux partis de planifier / porter ce genre de trucs.
Si le minage nécessite de l’énergie, il faut simplement l’acheter et négocier des contrats d’approvisionnement avec les fournisseurs. Si le plan c’est de se faire « offrir » ces surcapacités, je comprends mieux le lobbying.
Il a été porté à ma connaissance ce document de L’institut National du Bitcoin.
(évidemment, l’Institut National du Bitcoin est littéralement militant). Il peut dire des trucs vrais, ce n’est pas le sujet, juste avoir en tête son intention.
Mon avis :
Je pense qu’ils n’ont pas spécialement analysé le point expliqué plus haut a savoir le cycle du combustible et leur rechargement.
Réponse aux Arguments du Site INBI sur la Modulation Nucléaire et le Minage de Bitcoin
Le site INBI avance plusieurs arguments en faveur de l’utilisation de la « surcapacité » nucléaire pour le minage de Bitcoin. Cependant, une analyse critique révèle plusieurs inexactitudes et simplifications qui méritent d’être clarifiées.
Structure des Coûts du Nucléaire
Coûts Fixes et Variables : Environ 90 % des coûts d’une centrale nucléaire sont fixes (investissement, personnel, maintenance), tandis que les coûts variables (combustible) sont relativement faibles. Il est donc économiquement imparfait de produire à pleine puissance en continu, car cela ne réduit pas significativement les coûts.
Modulation et Effacement
Modulation et Disponibilité : La modulation (variation de la puissance) et la disponibilité (fraction du temps de production) sont deux concepts distincts. La modulation permet d’ajuster la production en fonction de la demande et des conditions du marché, notamment pour intégrer les énergies renouvelables.
Impact du Facteur de Charge : Le facteur de charge (Kd) influence la production théorique sans modulation. Cependant, la modulation est nécessaire pour optimiser l’utilisation des ressources et répondre aux variations de la demande. Les centrales nucléaires ne peuvent pas toujours produire à pleine capacité en raison des contraintes techniques et économiques.
Critique des 500 TWh
Contexte et Sécurité : Les 500 TWh souvent cités doivent être replacés dans le contexte des mises à niveau et des exigences de sécurité actuelles, qui sont bien plus strictes qu’à l’époque de la construction des réacteurs. Il est crucial de distinguer la modulation de la disponibilité pour comprendre les capacités réelles de production.
Facteur de Charge Réaliste : Les « Bitcoiners » suggèrent que les centrales nucléaires pourraient fonctionner à un facteur de charge de 90 %. Cependant, ce chiffre a été atteint dans des conditions spécifiques, notamment en 2006, lorsque les normes de sécurité et les exigences de maintenance étaient moins strictes qu’aujourd’hui. En réalité, le facteur de charge maximal observé était de 83,6 % en 2006.
Coût Marginal et Flexibilité : Le coût marginal de production du nucléaire est relativement bas, mais les centrales doivent couvrir leurs coûts fixes. La flexibilité est essentielle pour tirer parti des variations de prix sur le marché de l’électricité, mais cela nécessite une adaptation rapide et efficace.
Impact des Mineurs de Bitcoin : L’idée que les mineurs de Bitcoin pourraient acheter l’électricité à bas prix pourrait renchérir les coûts pour les autres consommateurs. Une régulation et une gestion prudente sont nécessaires pour éviter des impacts négatifs sur le marché de l’électricité.
Conclusion
Les arguments avancés par le site INBI reposent sur des hypothèses dépassées et ne prennent pas en compte les réalités actuelles de la gestion des centrales nucléaires. Il est crucial de considérer les contraintes techniques et réglementaires actuelles pour évaluer correctement les capacités de production du parc nucléaire. Les affirmations concernant la production de 500 TWh et l’utilisation de la surcapacité pour le minage de Bitcoin sont basées sur des données historiques qui ne reflètent pas les conditions actuelles de fonctionnement des centrales nucléaires.
Merci pour la sauvegarde (et la réouverture du sujet), je referai une passe plus tard
Par ailleurs, je note pour @Emerodh que, si l’état ne planifie pas la charge supportée par les centrales, il pose quand même les bases politiques et réglementaires que doit respecter EDF via notamment la modulation de puissance injectée, et a donc son rôle a jouer dans la modification de ces règles. Il y’a donc un sujet ici, qui ne conduira peut être pas sur une motion en tant que telle sur l’usage ou non des surcapacité nucléaires fr, mais peut être mènera à la rédaction d’un article sur le marché de l’électricité et la prod électrique française.
Dans tous les cas le sujet est relativement intéressant, même sans inclure BTC dans la discussion, il est possible de réfléchir à des proposition politiques d’investissement autre que BTC si jamais le besoin de consommer la production surnuméraire pour lisser les FC se fait sentir.
Mais en fait le sujet serait plutôt : Comment le PP se positionne par rapport à l’évolution du mix électrique (avec rapports EDF, RTE etc) plutôt que de parler de surcapacité nucléaire pour le Bitcoin ni si l’un ou l’autre semblent judicieux.
Et si on tire le fil encore et encore à base de « pourquoi c’est important », pour que ça aie une cohérence en terme de message politique :
prix de l’électricité
industrie
décarbonation
long terme qui suppose financement / accompagnement public
Et donc on se retrouve bien loin de cette niche Bitcoin.
Tout à fait d’accord sur ce point, mais le point de départ de la discussion étant les BTCners qui veulent utiliser des surcapacité potentielles du nuke, dans l’optique de moins pénaliser EDF etc, et qu’en plus le sujet commence à se diffuser, il convient de l’inclure a minima comme point de départ (et puis en plus si ça me permet moi d’avoir des billes pour râler, jsuis content.) Mais effectivement, le vrai sujet pour le PP sera ce que tu as décris.
Après on est pas obligé d’évoquer Bitcoin pour en dire que du bien, on peut juste dire que ça a été évoqué par les aficionados de BTC, sans pour autant en faire une techno miracle qui va nous permettre de sauver le nucléaire (et j’ai pas du tout envie de faire ça )
la priorisation des EnR n’est pas juste « ajuster la production en fonction des conditions du marché » mais également un choix politique pour favoriser celles-ci.
Je comprends l’idée, mais a mon avis cette question devra être tranchée une fois tout lu et bien compris, surtout sur ce que ça implique vraiment côté EDF et centrales. Me vois mal me passer de sources potentielles juste parce qu’elles évoquent BTC
Décider quelles sources on veut amplifier ça fait aussi partie de la communication et de la crédibilité politique de ta communication, donc la questions se pose j’ai bien peur.
Ajout : je pense (comme @Emerodh) qu’il faut élargir au delà de Bitcoin, ne serait-ce que parce que Bitcoin n’est pas la seule monnaie à preuve de travail. Le sujet n’est donc pas vraiment Bitcoin spécifiquement mais, d’un point de vue théorique, l’usage des surcapacités pour du minage à preuve de travail.
Élargir encore plus au delà des cryptomonnaies permet également de prendre en compte d’autres usages potentiels et délestables tout aussi facilement, comme l’apprentissage d’IA.
Ce dernier usage est sans doute plus « conjoncturel » que le minage, car l’apprentissage d’IA bénéficie de la loi de Moore et des progrès algorithmiques pour réduire sa consommation en usage, ce qui n’est pas le cas du minage.
Le sujet est bien : y a-t-il vraiment une surcapacité significative ? (voir le titre du post).
Si cette surcapacité existe réellement, selon moi, l’objectif prioritaire devrait être de réduire au maximum la dépendance au charbon en Allemagne, pour des raisons de CO₂, de particules fines et de retombées radioactives. Cela devrait être une priorité bien plus importante que tout autre usage.
Je suis complètement d’accord, mais est-ce qu’on n’a pas la capacité de faire les deux ?
Je n’ai pas l’impression que les usages de surcapacités pour du minage demandent de passer devant quoi que ce soit d’autre. Donc ta proposition reste tenable : le minage passerait derrière la consommation allemande.
En France, en 2025, je ne suis pas encore convaincu qu’il existe une surcapacité significative. C’est bien le point de départ de cette conversation. Il est crucial de répondre d’abord à cette question, IMO
Je tiens également à rappeler ce que j’ai mentionné ailleurs :
L’électrification des usages, en particulier pour remplacer les énergies fossiles, devrait être une priorité. Cela inclut la réduction de la dépendance au charbon en Allemagne, mais aussi d’autres initiatives au niveau national.
le gouvernement francais à fait en sorte que le prix de l’essence est dans un minimum historique, tandis que l’electricité à prit +40% en 2 ans. C’est scandaleux a tellement de points de vue. Dejà, le point précédent mais aussi la précarisation des personnes fragiles.
Pour moi ces enjeux sont très très supérieur à tout le reste.