Réflexion sur le droit d'auteur et la propriété intellectuelle

Ceci est un texte de réflexion autour du droit d’auteur, écrit et lu par DuvalMC dans le cadre de la table ronde « Musique Libre, Téléchargement et Droit d’Auteur : les nouveaux contours de la musique » organisée lors du festival Comme Une Envie dans le Gers fin septembre
(le podcast est disponible en intégralité sur le site cité ci-dessus)

Si on parle de droit d’auteur et a fortiori de propriété intellectuelle, rien que les termes en eux-mêmes, ils me donnent plein d’idées, plein de réflexions parce que j’ai plein d’interrogations. J’ai noté un peu des trucs et j’avais une question d’abord. Avant de parler de droit d’auteur, je me disais, mais qu’est-ce qu’un auteur déjà pour revenir à la base ? Faire un petit peu d’étymologie, ça ne fait pas de mal. Ça nous renvoie vers le mot latin augere qui signifie croître, développer, augmenter ou encore exalter. Mais l’origine viendrait peut-être du mot augure dont la signification serait ici “celui qui fonde, qui établit”. En d’autres termes, j’ai envie de dire, “celui qui fait autorité”. Et oui, parce que c’est quand même la même famille, auteur et autorité, c’est ça qui me fait pas mal gamberger. Je trouve qu’il y a une analogie entre ces mots qui est assez intéressante intellectuellement. Ce qui produit du langage, qui écrit ou qui dit quelque chose dans l’espace intermédiaire entre lui et ceux qui l’écoutent, ça peut être celui qui inter-dit; en deux mots ou avec un tiret. Et là, on arrive sur le mot interdit. Ou qui autorise, un auteur, voilà. En fait, on est tous auteurs dans la vie avec nos gamins, enfin voilà… Quand on pose un verbe, on pose une parole quelque part, on est susceptible d’interdire ou d’autoriser. En tout cas, le rapport entre auteur et autorité, à mon sens, grave intéressant.

Donc un auteur, c’est, dans le sens commun, quelqu’un qui écrit quelque chose. On est d’accord un peu là dessus, en gros, un auteur, voilà ? Ça peut être une pièce de théâtre, un film, une musique, voilà, un auteur… Mais, je me suis dit, en réfléchissant sur cette question, pourquoi il n’a pas de verbe ce joli mot, “auteur” ? Parce qu’un conducteur, il a le verbe conduire; une institutrice, elle a le verbe instruire. Alors pourquoi un auteur, il est obligé d’utiliser le verbe “écrire” ? Nous, les auteurs, on n’a même pas de verbe ! On ne peut pas “auter”. On ne peut pas “auterer”. On pourrait à la rigueur “autoriser” mais, bon, c’est pas le même sens. Alors, si déjà à la base, on n’a même pas le droit à un verbe, c’est quand même de mauvaise augure pour espérer un jour avoir des droits d’auteur !

Alors à quoi un auteur à droit ? En premier lieu, il pourrait éventuellement avoir le droit de vivre. Avoir le droit à une certaine rémunération. Mais pour avoir droit à des thunes, il va falloir qu’il soit adroit, l’auteur. Adroit pour avoir des revenus, pour faire les papiers, administratifs… Bon, c’est clair qu’il faut être habile avec la paperasse. C’est pour ça qu’un auteur a toujours un stylo habile avec lui. Et puisqu’on parle de thunes, je crois que le droit d’auteur a été longtemps une fausse solution à un vrai problème. On s’est servi du système combiné du droit d’auteur et de la propriété intellectuelle pour payer les producteurs d’idées, artistes ou autres. Alors, moi perso, j’ai pas d’idée sur comment faire autrement. Tout ce que je sais, c’est que toute la société est concernée par le fait qu’un artiste doit d’une certaine manière ou d’une autre tirer des revenus de son activité. La société peut décider de donner à certaines conditions mais elle ne peut pas nier l’utilité sociale de types, d’hommes et de femmes qui ont l’air de ne faire que s’amuser puisqu’ils amusent les autres, mais qu’en fait, ils bossent aussi et ils ont les mêmes loyers à payer à la fin du mois, n’est-ce pas les Graines de Sel; ils doivent aussi faire le plein, payer des amendes et ils ont aussi des cantines ou des Lamborghini à payer comme tout le monde. Alors, on ne peut pas parler lucidement des moyens de subsistance des artistes dans un champ de perception où l’on ne voit que les notoriétés et pas les budgets promo. On y reviendra, c’est un petit peu complexe.

Concrètement, si les artistes vivent encore de leur art, malgré la révolution numérique, c’est qu’ils vendent encore des trucs. Là, je parle plus des musiciens. Donc, du spectacle vivant, du streaming, des tee-shirts, des produits. Mais le droit d’auteur, c’est pas qu’une histoire de thune, c’est aussi une histoire de filiation et de paternité d’idée. Tiens, c’est marrant, on parle jamais de maternité d’idée. Et si on parlait de parentalité des idées, ça donnerait quoi ? Je sais pas… Peut-être un champ de réflexion pour les assos ici présentes. Et pour conclure, j’avais cette phrase qui finalement m’a pas inspirée alors j’avais quelqu’un, j’aurais dit Marx mais je ne suis pas sûr de la maternité de cette assertion, disait “La propriété, c’est le vol mais moi, je reste à vie fascinée par la proposition à tiroir de la proposition suivante : une bonne idée n’a pas d’auteur !”

DuvalMC m’a donné l’autorisation de reproduire son texte où bon nous semble. À bon entendeur…

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Intéressant.

Sur l’absence de verbe pour un auteur, on peut aussi penser que “auteur” revêt beaucoup de formes différentes. Très différentes. Dans le titre du sujet, tu parles même de “propriété intellectuelle”, ce qui élargie (ou restreint) encore le champ. De fait, on ne peut pas apporter une unique solution pour l’ensemble de ces métiers/activités. Pour donner qu’un panel :

  • L’auteur d’un livre (et ses traducteurs qui sont aussi des auteurs). On peut aussi distinguer un auteur romanesque (artiste) et un auteur scientifique (propriété intellectuelle).
  • L’auteur de la mise en scène d’un spectacle vivant (prouesse technique ou artistique ?)
  • L’auteur d’une oeuvre d’art (physique) ou de performance / conceptuel
  • L’auteur d’un logiciel
  • L’auteur lyrique
  • etc etc

Clairement, on ne peut pas avoir exactement la même solution (le droit d’auteur) pour chacun. Quant à la propriété intellectuelle, elle s’adresse plus aux activités techniques, scientifiques alors que parfois la nuance est délicate (designer une interface ergonomique : droits d’auteurs ou brevets techniques ?). Fiscalement, ça a un impact très fort car la taxation d’un auteur artiste sera incroyablement plus faible que celle d’un chercheur technique. Et même en artiste pure : être payé en droit d’auteur pour une création graphique (artiste), c’est plus intéressant que d’être payé au temps passé sur une commande non originale (graphiste).

=> Bref, si nous n’en étions pas déjà convaincu, ça prouve la nécessité de faire évoluer notre rapport administratif à la création (mais c’est pas simple car juger de l’art est assez présomptueux : Appel qui dépose le bouton avec un coin arrondis, ça nous fait rire, un artiste qui fait un cercle uni sur une sériegraphie, faut-il dire que c’est nécessairement non original ? Pourtant ça l’est parfois, lié au contexte par exemple).

Et sur la question “de la thune” (et de l’emploi mais je ne vais pas y revenir ici !), Complètement en accord avec ce qu’il dit et c’est ce qui me dérange dans la conception du revenu de base qui permettrait aux gens de devenir artiste. Peut-être que ma relation au matériel est trop décomplexée mais je trouve assez sain que l’on puisse s’enrichir tout en faisant ce qui nous plait.

PS: Je ne réagis pas sur les droits moraux dont il parle à la fin mais c’est effectivement un large sujet (à part entière). Y répondre permettrait sûrement de résoudre une partie des questions posées plus haut… je ne m’en sens pas la capacité dans l’instant !

Très intéressant, clair mais mesuré (ben oui, faut payer la cantine !).

@Mistral : je ne comprends pas trop ta distinction droit d’auteur / propriété intellectuelle… En tant qu’auteur de fiction, c’est bien la propriété intellectuelle qui régit mes droits, et les droits d’auteur qui me rémunèrent. L’un va avec l’autre. Pour le moment en tout cas.

Sinon, je suis plus gênée par la confusion revenu de base / revenu des artistes et l’idée qu’on deviendra tous artistes… C’est pas parce que je prendrai des cours de danses que je vais devenir danseuse ! Il y a tout de même un caractère professionnel à ceux qui en font profession (pardon pour la tautologie ^^) qui doit être reconnu d’une manière ou d’une autre.

Alors aujourd’hui tous les artistes ne gagnent pas leur vie de leur art, le revenu de base en tout cas les émanciperait (en partie suivant ce qu’il apporte) et permettrait donc de les libérer (bon en même temps s’ils avaient besoin d’une frustration pour autorirer, c’est balot)
Alors oui, prendre des cours de danse ne fera pas de toi une danseuse, mais peut-être es-tu douée pour autre chose, et le RdB permettrait d’avoir le temps de s’accomplir (à la limite je préfère à “tous devenir artiste”, en effet certains préfèrent le social, d’autres entrepreneuriat…) et donc de trouver cette voie.
Enfin pour revenir à la danseuse, voire au chanteur de scène, au sens premier du terme, ce ne sont pas des artistes mais des interprètes. Il n’y a pas de création dans l’interprétation, tout au plus une variation (à distinguer du remix). Pour ça ils ont des cachets. C’est assez différent de ce que vit la plupart des gens.

Bref, tu mets malgré tout en avant un point qui est l’égalité des chances et des talents, et ça c’est pas gagné.

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Tu as raison de faire la distinction avec l’interprète, mais il y a quelque chose de l’artisan dans tout artiste : un apprentissage, de l’entraînement, un savoir-faire qui s’acquiert et s’entretient (et je ne parle même pas de talent… Tout métier a ses larbins, ses doués et ses génies, en art comme ailleurs).

En fait il y a une confusion parce que ce sont des métiers qui semblent amusants, mais le public n’en voit qu’un tout petit bout, et le plus gratifiant (la pointe de l’iceberg personnel en quelque sorte, la pointe du glaçon même :slight_smile: ). Pour moi écrire est vraiment un métier, j’écris des choses qui me plaisent, d’autres qui me plaisent moins mais qui me payent le loyer. Je ne me plains pas, c’est un métier que j’ai choisi, mais ce n’est pas un loisir et ça me prend largement un plein temps.

Par ailleurs, une part importante de mon travail consiste aussi à aller rencontrer des enfants dans des classes. C’est pas mal de temps pris sur l’écriture (et la réécriture, et l’envoi aux éditeurs, et le suivi, etc.), mais c’est bien payé et c’est une chouette manière de mettre les mômes en prise directe avec la création. C’est presque du cachet en fait.

Bref, tout cela est complexe, mais je pense qu’il faut vraiment sortir de l’image du métier-passion (dans sa vision dorée du pro en extase devant son job, comme dans sa vision sombre qui est celle de l’étymologie : patior, souffrir).

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D’accord à 100%. Ce que tu décris avec une part de passion et une part pour croûter, on le vit tous un peu dans nos boulots. Faire des ateliers, ça permets de croûter mais pour certains, c’est plus important que la pratique artistique. C’est variable et c’est un peu présomptueux de se dire que y a un truc noble (les expos, les résidences, les productions) et un truc qui l’est moins (parce qu’il est payé à l’heure comme les ateliers).

Et inversement, ça m’arrive de contribuer à des œuvres et je ne me sens pas artiste pour autant. C’est plaisant, j’apporte des compétences techniques, un point de vu politique mais c’est pas mon job (j’en attends ni rémunération, ni reconnaissance/expérience) et ça implique pas mal du point de vu “métier”.

C’est que la PI est beaucoup plus large que le domaine artistique. Un photographe, s’il prend une photo qu’il souhaite exposer ou vendre, je ne trouve pas ça du tout pareil que s’il prend des photos matons ou de mariage qu’il va vendre à l’heure. Idem entre écrire une thèse ou écrire une fiction. Entre l’auteur d’un jeu vidéo click n shoot et un compositeur de musique.

Lorsque, nous, parti pirate, on veut réformer les droits d’auteurs, je préférerai qu’on parle distinctement des situations particulières. A tout mixer ensemble, on mélange le tout et on donne le flan à la critique. Par exemple sur les biens culturels, on sort souvent pour défendre le piratage que les pirates dépensent le plus dans les biens culturels mais on ne distingue jamais dans ces études ce qui relève réellement de la culture et ce qui relève du bloc boster du divertissement. On ne préjuge jamais non plus de la qualité des biens culturels. En ne le faisant pas, on dit que tout se vaut. Cependant, c’est une posture sage quant on explique à un enfant qu’il a le droit d’aimer ce qu’il veut, qu’il doit se former le goût par lui-même. Mais si on regarde du point de vu de la société, si on ne distingue pas, on ne sait plus si la demande est suffisamment diversifiée et s’il s’agit d’une culture engagée, qui pousse à se questionner ou conformiste, qui pousse à valider sa condition. C’est quand même important.

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C’est ça, c’est un peu pareil pour tous les boulots ! C’est pour ça que j’aime bien la proposition dans le lien ci-dessous de parler de “travail intellectuel” plutôt que de “propriété intellectuelle” (à part ça, je ne trouve pas l’idée du “droit fixe” très intéressante) : https://drive.google.com/file/d/0B5z1-NwtgPvBWi1lQXRSaks4MnotSFRfT2ZfN3JKTGZTSnMw/view

À voir après si notre boulot entre vraiment dans le service public (comme les enseignants), mais alors il faudra bien nous rémunérer. Et perso, je ne suis pas trop pour un art d’état. Parce qu’au-delà du beau et du bon (ce que tu appelles qualité), on tombe vite dans l’idée du bien… Surtout en jeunesse ! Exemple perso : j’ai écrit un petit roman où 2 filles tombent amoureuses. Il est plutôt bien passé parce que c’est dans l’air du temps, mais il a été attaqué par JF Copé et la bande du Salon beige. Si ces gens là arrivent au pouvoir, et si c’est l’état qui me paye, je fais quoi ? Je remets un zizi à la demoiselle ? :slight_smile:

Pour la thèse je ne suis pas trop d’accord : je viens de terminer la mienne, ça m’a demandé du temps et du neurone, sans doute plus que mes fictions ! Après, c’est en littérature comparée, je ne révolutionne pas le traitement du cancer, c’est sûr, mais bon, je compte en faire un essai un jour. La différence évidente, je pense, c’est quand ces travaux sont financés par le denier public : salaire de prof de fac, contrat doctoral, ou même bourse du CNL pour la fiction (ou les essais)). Ce genre de critère est parfaitement objectif, et plutôt logique !

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L’occasion de faire parler la cause des trans’

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Je vais proposer une suite à Actes Sud :smile: :sweat_smile:

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Je déterre un vieux post pour actualiser un peu le sujet du DROIT D’AUTEUR

Quelle est la position générale du Parti ?

C’est un des sujets qui m’a le plus occupé dernièrement alors je voudrais un peu sonder le peuple^^

Dans tous les cas je suis convaincu que dans l’état actuel des choses le droit d’auteur doit évoluer.

Alors plutôt…
fun_boat_2

Ou encore…

Autres ressources :

Le Monde - 2001.

TorrentFreak (english)

Il y a ici des positions qui s’opposent en apparence (@Mistral et @Alwilda) alors que non, elles s’insèrent à des niveaux très différents.

Le revenu de base laisse le temps et la liberté de se former. J’en sais quelque chose : j’aurais bien aimé avoir le revenu de base pour finir ma formation en contrepoint et en orchestration. Je ne la finirai sans doute jamais, gâchant peut-être des virtualités dont j’aurais pu faire profiter la société. J’en ai fait une dépression. Faut dire que c’est frustrant d’avoir des professionnels qui viennent régulièrement te demander des conseils tout en sachant très bien que toi-même tu ne pourras jamais te professionnaliser dans la situation actuelle. Le revenu de base est donc une passerelle.

Si tu es suffisamment bon (comme dit Graeber : pas grave si on a un million d’artistes ratés pour un Mozart dans le lot), pas de soucis pour chercher la professionnalisation, la reconnaissance publique et le revenu qui va avec, non ? Il ne faut pas confondre les conditions de formation (revenu de base) et le métier (qui vient dans un second temps). Je ne vois donc pas d’opposition entre les deux grands pôles d’idées que j’ai pu lire dans ce fil. Et la remarque sur l’importance de la diversité culturelle (et des foyers d’identification qui vont avec) va complètement dans le sens de la Déclaration Universelle sur la Diversité Culturelle (2001) de l’UNESCO, avec le même enjeu autour de la liberté.