Aujourd’hui, le Défenseur des droits a publié un rapport intitulé Discriminations et origines : l’urgence d’agir.
Ce rapport met en lumière un certain nombre de choses comme les types de discriminations, les endroits de leur expression, les cibles de leur expression, ainsi que leur caractère systémique.
C’est un rapport que je trouve précieux, et sur lequel je vous propose de nous appuyer pour construire une motion sur ce thème.
SYNTHÈSE DU RAPPORT
Le rapport orfficiel nous dit plusieurs choses.
Elle commence par relever le point initiateur de sa recherche : le racisme anti-asiatique relevé au début et pendant l’arrivée de la crise du Covid sur le territoire français :
La crise sanitaire inédite que la France traverse a révélé les fortes inégalités sociales et territoriales de notre société. Elle a aussi suscité des actes particulièrement préoccupants de stigmatisation à l’encontre de certains groupes perçus comme responsables ou vecteurs de la pandémie.
Élargissant son questionnement, le rapport définit ensuite la nature générale de ces discriminations, basée sur l’essentialisation d’un “nous” et d’un “eux” (ce qui renvoie à de l’assignation de force, en l’occurrence la racisation) :
Concrètement, la discrimination fondée sur l’origine vise des individus non pour ce qu’ils font mais pour ce qu’ils sont ou sont supposés être. Elle repose sur la mise en œuvre de stéréotypes associés aux individus en fonction de signes extérieurs sur lesquels ils n’ont pas de prise (couleur de peau, traits du visage, texture des cheveux, patronyme, prénom, accent) ou de caractéristiques socio-culturelles (religion, lieu de résidence), qui laissent supposer une origine étrangère.
Le rapport précise ensuite qu’il y a des degrés d’exposition à ces discriminations (faisant appel à la théorie des préjudices et des privilèges).
Le degré d’exposition aux discriminations n’est pas tant lié à la nationalité étrangère, actuelle ou passée, de la personne, mais à ces différents « signes » qui constituent les vecteurs des stéréotypes et des discriminations raciales. Elles concernent donc aussi bien des étrangers que des Français qui ne sont pas pleinement reconnus comme tels.
Ensuite, le rapport revient sur la distinction de traitement juridique entre le racisme et les discriminations, et leur traitement par la loi.
Et poursuit en signifiant que la France a la plus grande population en UE pouvant potentiellement être la cible des ces discriminations. le rapport pose alors la question (en deux paragraphes) la très puissante question qui suit :
Alors même que les champs de l’égalité entre les femmes et les hommes et de la lutte contre les discriminations LGBT connaissent depuis quelques années des dynamiques encourageantes […] Comment est-il possible, alors qu’elles sont aujourd’hui pleinement identifiées grâce aux études existantes, que ces discriminations soient rendues à ce point invisibles dans le débat public et qu’il n’existe plus aucune véritable politique publique dédiée à la lutte contre les discriminations raciales ?
Dans la synthèse du rapport elle-même, la dimension systémique du phénomène est immédiatement mise en lumière…
Les données officielles et de nombreux rapports publics confirment l’ampleur de ces discriminations dans la société française et leur dimension systémique. Les résultats des études statistiques sont sans appel. […] Les discriminations liées à l’origine constituent souvent pour les individus concernés une expérience quotidienne, durable et généralisée, dans l’emploi mais également le logement ou l’accès aux biens et services. La part des institutions dans la production de ces discriminations est loin d’être négligeable.
… ainsi que l’intersectionnalité de ce phénomène avec d’autres types de discriminations :
Certaines personnes se trouvant au croisement de différentes formes de discrimination sont particulièrement exposées aux processus de stigmatisation et d’exclusion.
Nous trouvons également dans les deux documents (rapport et synthèse) un déroulé de tout ce que ce phénomène systémique engendre comme conséquences dans la vie des discriminé.e.s, avec, entre autres :
- perte de bien être
- perte de chance
- efforts décuplés à trouver un emploi, un logement, …
- difficulté d’accès aux carrières et aux opportunités, aux lieux de vie choisis
- temps de transports augmentés
- fatigue, dépression, colère, troubles psychologiques et de santé
- autocensure (milieu pro, familial)
- perte de confiance en l’institutionnel
- perte de repères sur la place qu’on a dans la société
- manque de reconnaissance
- …
DE LA RESPONSABILITÉ DES POLITIQUES PASSÉES
La synthèse du rapport poursuit en pointant l’absence de lutte politique contre les discriminations malgré l’adoption d’une directive européenne en ce sens, en 2000.
Elle remonte même le temps, pour désigner responsable les politiques des années 90 et 2000 (gauche caviar, SOS Racisme, etc), qui ont fait basculé la lutte contres les discriminations vers un nouveau paradigme, celui de la promotion de la diversité :
Après une mise à l’agenda tardive, à la fin des années 1990, la politique de lutte contre les discriminations liées à l’origine a rapidement fait face à un déclin. La concurrence d’autres paradigmes, particulièrement celui de la promotion de la diversité, est venue freiner l’émergence d’une véritable politique de lutte contre les discriminations fondées sur l’origine, rapidement reléguée aux territoires de la politique de la ville.
Puis le retour de la droite (et de la gauche de Valls), provoquant le basculement de la promotion de la diversité à un paradigme autour de la sécurité, de la laïcité et d’antiracisme.
Le Défenseur des Droits regrette donc que depuis les années 90, le problème n’ait jamais été traité avec pragmatisme, avec la mise en place de solutions et de politiques d’État fortes. Il regrette également que le droit soit le seul recours possible, pour deux raisons :
En s’appuyant essentiellement sur la mobilisation du droit comme outil conceptuel et moyen d’action, les actions publiques de lutte de contre les discriminations ne se sont pas attaquées à la dimension systémique des discriminations fondées sur l’origine et peinent à construire des registres d’action adaptés.
et
Toutefois, le recours à la justice reste une démarche lourde et douloureuse pour les victimes qui ne peuvent porter seules le poids de la lutte contre les discriminations. C’est pourquoi, malgré la prévalence des discriminations fondées sur l’origine, le taux de non-recours reste très élevé : parmi les personnes ayant rapporté avoir vécu une discrimination en raison de leur origine dans l’emploi, seules 12% environ ont entamé une démarche judiciaire. […] Les rares victoires restent donc symboliques et n’ont pas d’effet dissuasif, ni d’impact transformateur.
RECOMMANDATIONS DU DÉFENSEUR DES DROITS
La synthèse du rapport revient sur les propositions / recommandations du Défenseur des Droits. Elles relèvent de trois axes : celui des outils de connaissance et de mesure de la problématique, celui des politiques publiques de lutte, et enfin celui des sanctions judiciaires.
OUTILS DE CONNAISSANCE ET DE MESURE
- Développement de la statistique publique sur les discriminations fondées sur l’origine et de l’utiliser comme un véritable instrument de pilotage et d’action pour la promotion de politiques d’égalité
- De mettre en place des campagnes nationales de testing régulières, visant le champ de l’accès à l’emploi comme celui du logement ou d’autres biens et services.
- De doter la politique de lutte contre les discriminations d’un système de veille statistique. (clairement, il s’agit de statistiques ethniques, mais présentées avec de meilleurs mots)
- De réaliser des diagnostics sur les risques discriminatoires fondés sur l’origine au sein des organisations, notamment publiques, dans le cadre d’audits
- De compléter les obligations légales des entreprises sur la publication des indicateurs non-financiers et statistiques
- De mettre en place un nouveau groupe de travail, associant le Défenseur des droits et la plateforme nationale RSE (responsabilité sociale des entreprises), pour faire converger les différentes obligations réglementaires
POLITIQUE PUBLIQUE DE LUTTE
POUR L’EMPLOI
- Formalisation de l’engagement de la haute direction de l’organisation en matière de lutte contre les discriminations fondées sur l’origine
- Réalisation de diagnostics réguliers sur les risques discriminatoires liés à l’origine par le biais d’audits et par la mise en place d’indicateurs adaptés à cet effet. (avec obligation légale)
- Sensibilisation et formation du personnel sur le racisme, les discriminations fondées sur l’origine et les obligations de l’employeur, à l’instar de ce qui est fait en matière de harcèlement sexuel
- Mise en place de procédures de sélection fondées des principes d’objectivité, de transparence et de traçabilité
- Mise en place au sein des entreprises comme des administrations des dispositifs obligatoires pour faciliter le recueil et le traitement rapide des signalements de discrimination ou de harcèlement, protéger les victimes, enquêter et sanctionner l’auteur lorsque les faits sont avérés
- Renforcement des obligations pour assurer la sanction effective des discriminations fondées sur l’origine au niveau des organisations
CONTRÔLE D’IDENTITÉ
- Assurer la traçabilité des contrôles d’identité
- Modification de l’article 78-2 du code de procédure pénale pour y indiquer explicitement que les contrôles d’identité ne sauraient être fondés sur des critères légaux de discrimination
LOGEMENT
- Modification de l’article L.441 du Code de la construction et de l’habitation, qui définit les orientations de la politique d’attribution, que le droit au logement doit être mis en œuvre sans discrimination
SANCTIONS JUDICIAIRES
- Améliorer le traitement des discriminations par le juge pénal, en amendant les articles 225-1 et suivants du code pénal
- Rendre plus effective l’action de groupe contre les discriminations (détails dans la synthèse du rapport)
- D’appliquer des sanctions judiciaires proportionnées et réellement dissuasives contre les auteurs de discriminations fondées sur l’origine (détails dans la synthèse du rapport)
PROJET DE MOTION
A titre individuel et en ma qualité de pirate, je suis très heureux de voir ce rapport surgir du discours politique complètement sclérosé sur cette problématique depuis des lustres. Satisfait également de voir qu’il aborde le sujet frontalement, en désignant l’aspect systémique, l’incapacité du droit seul à résoudre le problème, et les responsabilités distribuées et croisées des différents gouvernements qui se sont substitués depuis la fin des années 80, et qui ont, d’un changement de paradigme à l’autre, dilué le débat jusqu’à ce qu’il n’existe plus, et que sa réalité soit invisibilisée.
L’actualité de la lutte antiraciste, très intense et très dure ces derniers mois, par sa corrélation au sujet épineux des violences policières, ne devrait pas à mon sens rester réduite à des sujets connexes : la politique de la ville, les violences policières, les associations… Elle doit faire l’objet d’un positionnement politique en tant que tel. Le rapport du Défenseur des Droits allant dans ce sens, et l’intérêt de certains pirates pour ces sujets depuis quelques semaines et les discussions, articles et sujets proposés sur Discord ou Discourse, je vous propose donc de réfléchir collectivement sur la motion suivante.
TITRE
POLITIQUE DE LUTTE CONTRE LES DISCRIMINATIONS RACIALES
EXPOSÉ DES MOTIFS
Depuis 40ans, la lutte contre les discriminations sur la base des origines ou des signes perçus comme tels, n’a eu de cesse d’être diluée dans d’autres sujets (la sécurité, la laïcité, la diversité, …) par nos gouvernements successifs, de droite comme de gauche.
Dans le même temps, et en l’absence de politique audacieuse et constructive, ces discriminations ont vu leur ancrage systémique se renforcer, et leur influence sur les personnes ciblées et la cohésion de la société s’intensifier. L’assignation d’individus à des races sociales sur la base de leurs origines ou des signes perçus comme tels scindent notre société entre un “nous” et un “eux”, avec le cortège de privilèges et de préjudices induits par une telle segmentation, à l’encontre de l’idéal universaliste français.
Les effets sur les cibles de ces discriminations sont nombreux, et forts.
Manque de repères, auto-censure en milieu professionnel ou familial, exclusion et ségrégation, accès freinés sinon impossibles aux carrières choisies, aux logements choisis, incapacité à trouver sa place, à s’accepter, perte de confiance dans les institutions et la Justice, et bien d’autres. Des effets si nombreux et si intenses qu’ils exacerbent les risques de troubles de la santé mentale et physique des personnes touchées par ces discriminations.
Les effets sur notre société n’en sont pas moindre : cassure de notre modèle égalitariste, libertés individuelles bafouées ou à la carte, perpétuation de privilèges et de préjudices, déni généralisé, …
Si notre Constitution promeut des idéaux universalistes, la réalité sociale française témoigne d’une situation dystopique, où les recours judiciaires existants sont trop lourds, trop lents, et trop symboliques pour résoudre le problème dans sa dimension systémique. 2020 porte un constat amer pour celles et ceux qui découvrent avec stupeur que la solution trouvée par les populations cibles des discriminations raciales est l’organisation en communauté de lutte.
Et alors que ce communautarisme choque la sphère politique, du gouvernement à l’opposition, posons nous la question de ce qui a mené à ce recours.
De la même façon que les employés de l’industrie se sont organisés en syndicats, de la même façon que les LGBTQI+ ou encore les femmes s’organisent en associations ou en groupes d’action, les populations cibles de discriminations sur la base des origines ou des signes perçus comme tels, ayant perdu toute confiance en l’institutionnel, s’organisent en communauté. Ce signe fort doit nous alerter et non nous repousser. Car l’objectif est le même que les autres cibles de discrimination : faire valoir leurs droits et en finir une bonne fois pour toute avec le racisme systémique et les discriminations raciales.
Nous, Pirates, souhaitons que la réalité de la France soit fidèle à l’article 1 de sa Constitution.
La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion.
Devant le constat que nous dressons aujourd’hui, nous comprenons que ce n’est clairement pas le cas.
C’est à ce titre, et conformément aux points VI, VIII, et IX de notre Code des Pirates, que nous souhaitons engager une réforme pragmatique et incisive de la lutte contre les discriminations raciales.
CONTENU DE LA PROPOSITION
1/ CRÉATION ET DÉVELOPPEMENT DE LA STATISTIQUE PUBLIQUE SUR LES DISCRIMINATIONS RACIALES :
Le Parti Pirate propose que l’État se dote d’un outil de collecte et d’analyse de statistiques sur les discriminations sur la base des origines ou des signes perçus comme tels. Cet organisme public aurait pour objectifs :
- la collecte de ce qui est appelé communément les statistiques ethniques
- le pilotage des besoins en matière de statistiques de ce type
- la mise à disposition en open-data de ces statistiques
Pour qu’un tel dispositif puisse voir le jour, le Parti Pirate propose l’autorisation du recueil de statistiques dites ethniques, par la modification de la loi de 1978 Informatique et Libertés avec l’abrogation de la mention “les origines raciales ou ethniques”.
2/ CRÉATION D’OBLIGATIONS LÉGALES A DESTINATION DES ORGANISATIONS ET DES ENTREPRISES
le Parti Pirate propose l’enrichissement du contrôle des facteurs non-financiers des bilans des organisations et des entreprises avec la mise en place des critères suivants :
- engagement de la Haute Direction en terme de lutte contre les discriminations raciales
- sensibilisation interne de l’ensemble du personnel sur le modèle de ce qui est fait à propos du harcèlement sexuel
- procédures internes de protection des cibles formalisées et obligatoires
- procédures et sanctions internes fluidifiées et accélérées
- traçabilité du recrutement : processus, entretien(s), période d’essai
Le Parti Pirate souhaite à ce titre la création d’un organisme public assurant l’accompagnement et la veille de la bonne conduite, par analyse des bilans ou par une politique d’audits, des organisations et des entreprises relativement à ces obligations légales. Le Parti Pirate propose que cet organisme soit placé sous la tutelle du Défenseur des Droits.
3/ ÉVOLUTIONS JUDICIAIRES
à compléter après relecture et analyse des textes de loi concernés
. procédure pénale, article 78-2 => indication explicite du fondement non discriminatoire des contrôles d'identité + traçabilité des contrôles d'identité
. article L.441 Du Code de la construction et de l'habitation, en stipulant que le droit au logement doit être mis en œuvre sans discrimination
. article 225-1 du Code pénal à amender dans le sens d'une amélioration du traitement des discriminations par le juge pénal
. fluidification et facilitation des recours au droit et à la Justice pour les actions de groupe
. redéfinition des sanctions judiciaires pour une plus grande dissuasion contre les auteurs
SOUTIENS
@gregoiremarty (Rapporteur)
Merci de votre attention pendant cette longue lecture, et au plaisir d’en débattre avec vous.