Je vais tenter d’expliquer ici ce qu’est la Loi de Programmation Pluriannuelle de la Recherche (LPPR) et de mettre en relief les problèmes qu’ont soulevés la communauté scientifique la concernant.
Il va s’agir d’une simplification : je ne vais pas rentrer dans les détails des différents programmes 150, 172 ou 193 et vais faire mon possible pour rester synthétique.
La LPPR, c’est quoi ?
C’est une loi concernant principalement le programme de financement de la recherche sur plusieurs années, ainsi que de changements dans l’organisation de la recherche, notamment au niveau du recrutement.
La LPPR en nombre
La loi vise à passer le budget de la recherche de 15 milliards (Md) par an comme actuellement à 20 Md par an en 2030, avec le projet d’injecter au total 25 Md d’euros supplémentaires en 10 ans : voir les articles Le Monde et mediapart.
Pour bien comprendre la fin de la phrase précédente : vous pouvez très bien promettre de passer de 15 Md/an à 20 Md/an d’ici 10 ans, de garder pendant 9 ans le budget à 15 Md/an et de l’augmenter d’un coup à 20 Md/an la 10ième année. Vous aurez ainsi injecté 5 Md supplémentaire en 10 ans. Là, le gouvernement vise à injecter 25 Md.
Pour l’an prochain, le gouvernement a prévu une augmentation de… 100 millions (article news tank), ce qui est un départ bien timoré. Rien n’indique que les gouvernements successifs (ou même l’actuel) tiendront le cap prévu durant les 10 prochaines années.
Le budget de la recherche
On parle de milliards, mais il est bien important de comprendre comment c’est distribué.
Le budget de la “mission interministérielle recherche et enseignement supérieur” est de 28,67 Md. Mais ceci inclus des choses comme la formation dans le supérieur (licence, master, doctorat, établissements privés, bibliothèques universitaires, …) ou la vie étudiante, donc rien à voir avec la recherche à proprement parlé (à part éventuellement la formation doctorale, mais ça représente seulement 375 millions).
Si on retire cette part du budget, il reste 15,46 Md seulement pour la recherche (les 15 Md actuels dont par le gouvernement).
Ok, mais dans ces 15,46 Md, on y retrouve 6,5 Md pour le Crédit Impôt Recherche (CIR), qui est un crédit impôt pour les entreprises privées dont l’un des objectifs principaux était de booster l’emploi du R&D. Dans les faits cependant, c’est surtout l’industrie pharmaceutique qui se gave, alors qu’elle a été épinglée pour avoir significativement diminué ses emplois R&D (articles Le Monde de 2016 et Libération de 2015).
En plus du CIR, on peut aussi ajouter environ 3 Md de subventions publiques pour la recherche privée (dossier Contretemps). Ensuite d’autres ministères que le ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche se servent : défense, culture, agriculture, …
Ainsi, le reste pour la recherche scientifique, qui recouvre la quasi-totalité des champs disciplinaires, est de 6,9 Md (chiffres 2019 de l’assemblée nationale). Ces 6,9 Md inclus 0,9 Md de financements sur projets de l’Agence Nationale de la Recherche (ANR, je vais revenir dessus).
Au final, c’est 6 Md récurrents qui vont dans les poches des laboratoires publiques, sur 15,46 Md. Moins que les entreprises privées avec le CIR, sans même compter leurs subventions !
Les problèmes avec la LPPR
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Pas de reconsidération de la répartition du budget à la recherche : même si on passe effectivement de 15 Md/an à 20 Md/an d’ici 2030, quid de la part de budget qui ira réellement à la recherche scientifique ? La part du CIR a explosé sous Sarkozy et n’a pratiquement fait qu’augmenter depuis. La tendance n’est pas à la réduction de sa voilure.
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Financement de la recherche de plus en plus orienté par projets, via l’ANR. Il faut savoir que la constitution d’une demande de financement ANR demande un dossier conséquent et très chronophage, avec un taux d’acceptation très faible (autour de 15%, c’est-à-dire que 17 dossiers sur 20 sont rejetés !), et quand une demande est acceptée, il s’agit souvent d’une somme à partager entre plusieurs chercheurs de différents labos qui ont dû monter un consortium pour paraître ambitieux, et une fois divisée, la somme perçue par chaque chercheur pour sa recherche est souvent ridicule par rapport aux efforts engagés.
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La mise en place de “tenure-track” à l’américaine, où l’on met à l’essaie pendant 5~6 ans un enseignant-chercheur plutôt que de le recruter comme permanent. Ce système est très critiqué outre-atlantique, et bien souvent les chercheurs sont mis en compétition pour les postes : un département va prendre 3 ou 4 tenure-tracks mais pour un seul poste permanent à l’arrivée. Vous imaginez si on faisait pareil avec les postes d’ingénieurs dans le privé ? Sans compter qu’aux États-Unis, les salaires sont aussi en conséquence. En France, la seule chose qui permet aux “jeunes” chercheurs et chercheuses (~35 ans) de contracter un prêt immobilier, ce n’est pas son salaire mais son statut de fonctionnaire. En effet, il faut savoir que l’âge moyen de recrutement des maîtresses et maîtres de conférences est de 34 ans et demi (chiffres 2018 du ministère ESR)
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La mise en place de CDI de recherche, créé pour contourner le statut de fonctionnaire mais aussi qui se termine à la fin de projet. Encore une fois, imaginez une entreprise qui recrute ses ingénieures et ingénieurs en “CDI”, mais qui les jettent une fois le projet sur lequel elles et ils ont été recruté est terminé !
Pour finir
J’ai compilé les informations et les problèmes qui me semblaient les plus importants, mais je suis sans doute passé à côté de quelques-uns. Je vous recommande en complément la (plus synthétique) critique de la LPPR par le chercheur Patrick Lemaire sur Le Monde.
Pour débattre des problèmes de l’ESR et contribuer aux réflexions sur sa refondation, je vous invite à découvrir le projet de refondation de l’ESR introduit par ce topic : Projet de refondation de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche