Avant-propos : Ce poste va être long, un peu technique, avec des statistiques. Je suis juriste pas mathématicien, je tiens donc à m’excuser par avance pour toutes les erreurs de calculs et les extrapolations imprécises que je vais présenter.
Pour les personnes qui ne voudraient pas lire, la conclusion devrait suffire à comprendre l’essentiel mais elle ne saurait servir de base à une réplique éventuelle à mon argumentation sans que cela soit forcément réducteur.
Cliquez sur les liens, ça vous fera apprendra des choses.
Introduction
Le poste initial comportait de nombreuses questions mais qui tournait finalement autour de celle-ci, que je retiendrais pour développer mon propos : Est-il opportun d’étendre l’usage des armes non-létales dans le cadre de la légitime défense des personnes et de leur domicile ?
L’objectif est ici de fait une balance bénéfice/risque en tenant compte de plusieurs facteurs :
- Les critères légaux (quand est-ce que la loi autorise à se défendre)
- La récurrence (est-ce que ça arrivera souvent ?)
- Les risques directs et indirects liés à cet usage pour soi et pour les tiers
Au niveau des sources intéressantes pour celles et ceux qui voudraient approfondir :
- Le code pénal
- Un manuel de droit pénal général de votre choix (les « carrés du droit » sont très bien fait pour une approche synthétique de la matière)
- Maurice Cusson, Criminologie, Hachette
- Les rapports et autres documents d’InterStat sur la délinquance que vous trouverez sur le site du ministère de l’intérieur
Voici le plan que je suivrais :
- Rappel sur le droit pénal en vigueur
- Étude des chiffres de la délinquance et détermination de la proportion des cas correspondant aux critères de l’article 122-6 du code pénal
- Les risques liés à l’extension de la détention des armes non-létales
Voici le cadre que je retiendrai pour limiter le déballage statistique et juridique :
- Les infractions de vol commis sur le lieu du domicile des personnes physiques avec les variables suivantes :
- Effraction (cambriolage)
- Violence sans arme
- Violence avec arme
1. Rappel sur le droit positif
La légitime défense dans les hypothèses qui nous intéressent s’appuie sur deux textes : les articles 122-5 et 122-6 du code pénal. Le premier concerne la légitime défense des personnes (vol avec violence) et le second les infractions d’atteinte aux domicile et les vols avec violence. Il y a une légère redondance entre les deux mais cela est dû aux évolutions du droit.
La légitime défense repose sur les critères jurisprudentiels suivants qui doivent tous être réunis (désolé Jacqueline) :
- Avoir agi face à une attaque à son encontre ou à l’encontre d’un proche
- L’attaque est injustifiée et a entraîné une menace réelle et immédiate (une arrestation par la police n’est pas une attaque injustifiée)
- L’acte de défense était nécessaire, c’est-à-dire que les violences commises étaient le seul moyen de se protéger
- Les moyens de défense employés étaient proportionnés, c’est-à dire non excessifs (tirer avec une arme à feu face à un simple coup de poing n’est pas un cas de légitime défense).
- La riposte est intervenue au moment de l’agression et non après : arrêter un voleur qui est en train de fuir après son délit n’est pas un cas de légitime défense.
(source : service-public)
Aux quelles conditions, il faut ajouter ceux de l’article 122-6 qui nous indique que dans le cadre d’une effraction de son domicile :
Est présumé avoir agi en état de légitime défense celui qui accomplit l’acte :
1° Pour repousser, de nuit, l’entrée par effraction, violence ou ruse dans un lieu habité ;
2° Pour se défendre contre les auteurs de vols ou de pillages exécutés avec violence.
Autant dire que l’application de la légitime défense est très résiduel et les cas d’acquittement sur ce critère ne sont pas légions.
2. Étude des chiffres de la délinquance et détermination de la proportion des cas correspondant aux critères de l’article 122-6 du code pénal
Analysons maintenant les chiffres de la délinquance en matière de cambriolage, en France, en 2018 (chiffres les plus récents). Je m’appuie sur ce rapport d’enquête du ministère de l’intérieur.
Attention, j’ai fait cohabiter deux séries de chiffres :
-
Ceux du ministère de l’intérieur qui correspond aux plaintes enregistrées et aux infractions constatées par les forces de l’ordre
-
Ceux de l’enquête de victimisation « Cadre de vie et sécurité » (échantillon de personnes interrogées qui déclarent les infractions qu’elles ont subi)
Il y a souvent un très grand écart entre les deux séries statistiques car beaucoup de personnes ne déposent pas plainte. Toutefois cet écart est moindre en matière de cambriolage car les personnes doivent porter plainte pour être couvert par leur assurance (Cusson).
Quelques chiffres clés :
- 490.000 ménages ont déclaré un cambriolage ou une tentative de cambriolage de leur résidence principales en 2018, soit 1,7% des la population
- Dans les deux tiers des cas décrits, les logements sont visités quand ils sont vides
- Dans le tiers restants, au moins une personne du ménage était présente. Toutefois, seul 16% des ménages ayant subit un cambriolage se retrouve confronté directement à son cambrioleur, dont seulement 10% l’ont effectivement vu.
Ainsi, seulement 49.000 ménages ont effectivement vu le cambrioleur. Selon l’INSEE en 2018, la France comptait 28,8 millions de foyers. Ainsi, seulement 0,17 % des ménages ont croisé le cambrioleur. Je pense que nous pouvons nous accorder sur le fait qu’il s’agit d’un chiffre infiniment petit.
Si l’on suit la définition légale de la légitime défense, seulement la violence justifie le recours à la légitime défense. Il convient donc de déterminer combien de ménages parmi les 0,17 % ayant vu leur cambrioleur ont subi une agression. La tâche est ici plus ardue car les statistiques sont mélangées. En effet, le ministère de l’intérieur classe les vols avec effraction et violence dans les vols avec violence (atteinte aux biens simples VS atteintes aux personnes et aux biens). De plus, il opère une double distinction avec entre les vols avec armes et vols violents sans armes (lien vers les fiches interstat).
J’ai réussi à en tirer les éléments suivants :
- En 2018, les forces de police et de gendarmerie ont enregistré environ 7.700 vols aboutis ou tentés d’être commis avec l’usage d’une arme par leurs auteurs. Sur ces 7.700 vols, 5,7 % ont été commis par des particuliers à leur domicile, soit 439 vols.
- En 2018, les forces de police et de gendarmerie comptabilisaient environ 80.000 vols avec violences sans armes (tentative incluse). Parmi cet ensemble, 2,2 % étaient des vols violents sans armes contre des particuliers à leur domicile, soit 1.760 cas.
Attention toutefois, il faut prendre en compte que dans les chiffres de l’enquête « Cadre de vie et sécurité », les personnes peuvent déclarer un cambriolage « simple » alors qu’il s’agit d’un vol avec violence sans arme. En effet, on considère juridiquement que les menaces (coucou, donne les bijoux ou je te casse les dents, mémé) sont des violences alors que les individus interrogés pensent souvent l’inverse.
En résumé, en 2018, étaient susceptibles de rentrer dans les critères de l’article 122-6 CP les cas suivants :
- les vols avec violence + arme : 439 cas
- les vols avec violence sans arme : 1.760 cas
- total = 2.199 cas
Rapporté à l’ensemble des ménages français : 0,008 % cas pouvant rentrer dans l’hypothèse de l’article 122-6 CP.
3. Les risques liés à l’extension de la détention des armes non-létales
Deux éléments sont intéressants pour déterminer les risques liés à l’extension de la détention des armes non létales :
- Les violences volontaires, blessures et homicides involontaires
- Les accidents domestiques
Sur les violences volontaires, blessures et homicides involontaires, on rentre dans toutes les hypothèses où la légitime défense ne s’applique pas. En effet, les critères de cette dernière sont très restrictifs et son application reste marginale, en particulier la proportionnalité et l’instantanéité de la réplique.
Ainsi, toute les fois où la légitime défense ne s’applique pas, l’auteur de l’infraction initiale se retrouve victime. Est-ce quelque chose que nous devons tolérer ? Pour moi, non. De ce fait, l’absence d’extension est le meilleur moyen de garantir la sécurité collective.
Sur les accidents domestiques, ceux-ci représentent la première cause de mortalité chez les enfants, la troisième chez les adultes (article Ouest-France, 2016). Le fait de voir fleurir les armes non létales dans les foyers français entraînera également une augmentation des accidents liées à ses armes. La formation peut aider à limiter ces risques mais le risque 0 n’existe pas. Est-ce un risque que nous devons prendre ? Non, je ne pense pas.
Je laisse de côté les arguments déjà évoqués sur les violences en générale, auxquelles je grefferais aussi les violences domestiques.
En conclusion :
- Lisez l’article 122-6 du code pénal
- Seulement 2.199 cas de cambriolage par an peuvent entrer dans les critères de cet article en cas d’usage d’une arme non-létale (soit 0,008 % des foyers français)
- Il y a un risque de blessures et de mort important envers les cambrioleurs et au sein des foyers,
En gros : risques > hypothèses applicables donc pas d’accord