Depuis le retrait du point de programme « Mettre l’accent sur les langues » par l’AP de juillet 2024, le sujet des langues est absent du programme. Ce post constitue une ouverture de discussion pour que le PP définisse une position sur la politique linguistique de la France, en vue de proposer une motion à une future AP, un parti politique se devant d’avoir une position sur tout les sujets politiques nationaux.
La politique linguistique de la France à l’étranger, dans les institutions de l’UE notamment, pourra faire l’objet d’une future discussion.
Le sujet des langues des signes est malheureusement absent de ce post, la faute à mon ignorance dans ce domaine.
Je fais confiance à tous les pirates pour remettre en cause ce que je crois savoir. Je ne suis pas un expert, juste un passionné.
1.Quelques définitions
Un rapport du CNRS de 1999, rédigé en vue d’un potentielle ratification de la Charte Européenne des Langues Régionales et Minoritaires (CELRM), recense 75 « Langues parlées par des ressortissants français sur le territoire de la République. »
Celles-ci peuvent être regroupées en différentes catégories selon leurs situations, chacune appelant à la reconnaissance de droits spécifiques.
a) Langues régionales de France
La CELRM définit les « Langues régionales et minoritaires » comme « les langues pratiquées traditionnellement sur un territoire d’un État par des ressortissants de cet État qui constituent un groupe numériquement inférieur au reste de la population de l’État ; et différentes de la (des) langue(s) officielle(s) de cet État. [Cette définition] n’inclut ni les dialectes de la (des) langue(s) officielle(s) de l’Etat ni les langues des migrants ».
Le concept de « dialecte d’une langue » n’est pas défini par la CELRM, et ne possède pas non plus de définition consensuelle parmi les linguistes. Le rapport du CNRS comprend les dialectes du français comme « les « français régionaux », c’est-à-dire l’infini variété des façons de parler cette langue (prononciation, vocabulaire, etc.) en chaque point du territoire. » et refuse d’y inclure les différentes langues d’oïl.
Les langues régionales de la France sont donc toutes les langues vivantes endémiques au territoire français n’ayant pas le statut de langue officielle, c’est-à-dire toutes les langues actuellement parlées par des citoyens français en France et qui, pour des raisons historiques, sont culturellement associées à une subdivision du territoire national dont les limites sont plus ou moins bien définies, hors le français (langue officielle).
b) Langues dépourvues de territoire parlées en France
Selon la CELRM, les langues dépourvues de territoire sont les « langues pratiquées par des
ressortissants de l’État qui sont différentes de la (des) langue(s) pratiquée(s) par le reste
de la population de l’État, mais qui, bien que traditionnellement pratiquées sur le territoire
de l’État, ne peuvent pas être rattachées à une aire géographique particulière de celui-ci. »
Il s’agit donc des langues ayant des locuteurs français, résidant sur le territoire français, mais qui ne peuvent pas être associées à un territoire défini : les langues juives et les langues tziganes notamment (yiddish, rromani…).
c) Langues de l’immigration en France
La CELRM exclut les « langues des migrants » sans en donner de définition. Le rapport du CNRS recommande de reconnaître néanmoins le statut de langue minoritaire aux langues parlées par les ressortissants français issus de l’immigration et qui ne bénéficient dans aucun État d’un statut officiel.
2. Le droit français et les langues régionales et minoritaires (LRM)
En 2024, la France n’a toujours pas ratifié la CELRM. Cette ratification engagerait la France à la publication, tout les 3 ans, de rapports publics d’experts sur l’avancement des dispositions prévues par la CELRM, parmi lesquelles :
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la nécessité d’une action résolue de promotion des LRM ;
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prévoir une éducation [à tous les niveaux] assurée dans les LRM concernées ;
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prévoir que les requêtes et les preuves, écrites ou orales, ne soient pas considérées comme irrecevables au seul motif qu’elles sont formulées dans une LRM ;
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encourager l’emploi des LRM dans le cadre de l’administration régionale ou locale
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permettre, à la demande des intéressés, l’emploi ou l’adoption de patronymes dans les LRM.
a) Quelques précédents
Les dispositions de la CELRM nous rappellent en particulier :
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la question des patronymes en LRM (Fañch, Martí…) qui revient de temps à autre dans le débat public. Des parents qui donnent à leur enfant un prénom comportant des caractères spéciaux absents de l’alphabet français sont susceptibles de déclencher des litiges, et parfois obtiennent gain de cause auprès de la justice et parfois non sans qu’il ne soit possible de percevoir une raison valable pour cette différence de traitement, la jurisprudence étant réputée uniforme sur le territoire français.
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la question de l’usage des LRM au sein des institutions locales. Le conseil d’état a décidé en 2006 l’annulation d’une phrase ajoutée en 2005 au règlement intérieur de l’assemblée de la Polynésie Française : « Son intervention [à l’orateur] est faite en langue française ou en langue tahitienne ou dans l’une des langues polynésiennes » la jugeant contraire à la loi organique. Le tribunal administratif de Bastia a décidé en 2023 l’annulation d’une phrase ajoutée en 2022 au règlement intérieur de l’Assemblée de Corse « les langues des débats de l’Assemblée de Corse sont le corse et le français » la jugeant contraire à la constitution. A contrario, l’article 18 du règlement intérieur du conseil régional de Bretagne, prévoyant depuis 2022 les prises de paroles en breton ou gallo au sein de l’hémicycle (et qui est effectivement appliqué ) ne semble pas avoir fait l’objet d’un contentieux juridique. En lisant les 2 premières décisions, on peut supposer que cette différence de traitement est dû à des vices de formes, les documents polynésien et corse n’ayant pas explicitement exclu la possibilité de production de textes uniquement en langue régionale ?
b) Protection des LRM
L’enseignement des LRM, l’enseignement bilingue français-LRM ainsi que l’utilisation des LRM par les enseignants à des fins pédagogiques sont permis par le code de l’éducation. En outre les langues suivantes peuvent faire l’objet d’une option facultative au baccalauréat : Basque, Breton, Catalan, Créole*, Corse, Gallo, Langues mélanésiennes, Occitan-langue d’Oc, Langues régionales d’Alsace et des pays mosellans, Tahitien
*Il s’agit en fait des différents créoles de Guadeloupe, Martinique, Guyane et la Réunion. L’enseignement de cette matière est adapté à chacun de ces territoires. Source
La loi dite Molac du 21 mai 2021, dernière en date relative à la protection des LRM, offre une protection supplémentaire aux cours de LRM et l’étend à Mayotte (qui, jusque là, en était explicitement privée) ainsi qu’à l’affichage signalétique bilingue français-LRM. Ses articles 4 et 9, lesquels furent censurés par le conseil constitutionnel, auraient dû garantir une protection légale à l’enseignement immersif en LRM et à l’inscription à l’état-civil des prénoms comportant des caractères spéciaux issus des LRM mais absents de l’alphabet français, respectivement.
Le sujet des prénoms en LRM a déjà été détaillé plus haut. Concernant l’enseignement immersif en LRM celui-ci existe déjà et concernerait plus de 14 000 élèves en 2021, on peut citer les écoles Diwan pour le breton, Seaska pour le basque, Calendreta pour les langues d’Oc. Source
L’article 75-1 de la constitution, issu de la révision de 2008, prévoit que « Les langues régionales appartiennent au patrimoine de la France. ». Mais, dans une décision de 2011, le conseil constitutionnel juge que « cet article n’institue pas un droit ou une liberté que la Constitution garantit ; que sa méconnaissance ne peut donc être invoquée à l’appui d’une question prioritaire de constitutionnalité » limitant ainsi sa portée. De plus, lors de sa saisine relative à la loi Molac, il avait énoncé à propos de l’article 75-1 : « si, pour concourir à la protection et à la promotion des langues régionales, leur enseignement peut être prévu dans les établissements qui assurent le service public de l’enseignement ou sont associés à celui-ci, c’est à la condition de respecter les exigences précitées de l’article 2 de la Constitution. » soumettant donc ce dernier à l’article 2 sur le sujet de l’enseignement des LRM, et ouvrant potentiellement la voie à un conditionnement total de l’application de l’article 75-1 au respect de l’article 2.
c) Obstacle à la protection des LRM
A la source de toutes les décisions juridiques allant à l’encontre de l’usage des langues régionales dans la vie publique se trouve donc l’article 2 de la constitution qui, depuis la révision de 1992, prévoit que « La langue de la République est le français». En découle, comme vu dans les décisions précédentes, que l’usage du français s’impose aux institutions et organismes publics et qu’aucune autre langue ne saurait être imposée aux ressortissants français.
3. Conclusions
Le droit relatif aux langues régionales et minoritaires est globalement peu fourni. Le régime actuel semble surtout être la tolérance, conditionnée au respect du statut du français comme « langue de la République » (c’est-à-dire langue officielle + première langue des citoyens). Une clarification est ici nécessaire afin d’éviter que les efforts effectués localement pour promouvoir les LRM (émissions TV/radio, écoles immersives sous contrats, interprétariat) ne soient demain anéantis, l’article 75-1 de la constitution et son interprétation n’étant pas une garantie suffisante.
L’atlas mondial des langues en danger de l’UNESCO (aujourd’hui apparemment inaccessible) répertoriait en 2016 comme en danger d’extinction toutes les langues endémiques de France hormis le catalan et le français. Tolérer l’existence des langues régionales et minoritaires dans la sphère privée ne suffit pas, quand une langue est en danger le laisser-faire revient au laisser-mourir. Rappelons qu’une langue n’est pas qu’un moyen arbitraire de communication, c’est aussi un patrimoine, avec une histoire et une culture, ainsi qu’une part de l’identité d’une personne. Avoir accès à du contenu (qu’il soit informatif, culturel, administratif ou autre) de qualité dans sa langue maternelle est un luxe pour beaucoup de personnes dans le monde.
Afin de permettre une juste représentation des locuteurs et des cultures associées aux langues régionales et minoritaires, suivant les principes d’autonomie de la personne, de libre diffusion des connaissances et d’égalité entre les personnes (points I, V et VIII du code des pirates), le PP doit prendre position en faveur de la sauvegarde des langues régionales et minoritaires et de leur juste représentation dans l’espace privé comme public.
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La ratification de la charte européenne des langues régionales et minoritaires serait un bon moyen de définir un cadre pour la place de la langue française d’une part, des langues régionales et minoritaires d’autre part, mettant fin aux interprétations juridiques défavorables aux langues régionales et minoritaires que permet un droit mal défini. Cette ratification nécessitera une révision constitutionnelle selon une décision du conseil constitutionnel de 1999.
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Une politique active de revitalisation des langues de France en danger doit être mise en place.
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Il est nécessaire de prévenir dans un maximum de domaines les discriminations basées sur la langue d’une personne (glottophobie) au moyen d’une loi. (Une loi visant à interdire la discrimination basée sur l’accent au travail a été proposée par l’AN en 2020 mais jamais adoptée).
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Le patrimoine en langue régionale ou minoritaire est sous-représenté dans l’enseignement public, étudier les textes (traduits en français) de Frédéric Mistral ou d’Anjela Duval devrait être aussi anodin que d’étudier ceux de Nicolas Boileau ou d’Emmanuel Kant.