Peut-on s'abstenir de soutenir WikiLeaks et Julian Assange?

Ce qui m’apparaissait une évidence, n’en est pas une. C’est pourquoi je souhaite prendre le temps de partager les raisons pour lesquelles il me semble incontournable de soutenir une personne qui est privée de liberté, sans procès équitable, suite à des révélations d’informations classifiées… un choix fait au nom du droit à l’information.

La raison d’être de Wikileaks est en effet :

« donner une audience aux lanceurs d’alerte et aux fuites d’information, tout en protégeant leurs sources. Plusieurs millions de documents relatifs à des scandales de corruption, d’espionnage et de violations de droits de l’homme concernant des dizaines de pays à travers le monde ont été publiés sur le site depuis sa création. »

Pour celles et ceux qui auraient loupé les épisodes précédents, je reprends simplement les termes de la fiche Wikipedia de Julian Assange, fondateur de Wikileaks :

Julian Assange (prononcé /ˈd͡ʒuːliən əˈsɑːnʒ/), né Julian Paul Hawkins le 3 juillet 1971 à Townsville (Queensland), est un informaticien, cybermilitant, devenu journaliste et lanceur d’alerte australien. Il est surtout connu en tant que fondateur, rédacteur en chef et porte-parole de WikiLeaks.
En 2010, à la suite des révélations de WikiLeaks sur la manière dont les États-Unis et leurs alliés mènent la guerre en Irak et en Afghanistan, Assange acquiert une grande notoriété. Il est ensuite au cœur d’une affaire politico-judiciaire internationale, qui le prive de liberté à partir de 2010 dans des circonstances telles qu’il a pu être qualifié de prisonnier politique.
En liberté surveillée, puis réfugié dans l’ambassade d’Équateur à Londres entre 2012 et 2019, il est incarcéré depuis 2019 au Royaume-Uni et au cœur d’une procédure d’extradition demandée par les États-Unis après avoir été inculpé pour « espionnage » ; il encourt 175 ans de prison.

Je m’exprime ici du point de vue de porte-parole d’un parti politique, le notre. C’est pourquoi je rappelle en préambule, que, de par nos statuts, nous sommes pour « L’accès à l’information, à l’éducation et au savoir doit être illimité » et que nous « rejetons la peine de mort ». Nous nous engageons pour une société solidaire défendant une conception de la politique faite d’objectivité et d’équité"

Or, c’est bien cela dont il est question dans l’affaire Assange et Wikileaks.

Pour vous convaincre de la nécessite d’afficher notre soutien à Wikileaks et son ancien rédacteur en chef Julian Assange, je retracerai la chronologie des fuites et des affaires judiciaires liées, avant de passer en revue les éléments qui pourraient faire douter certains de l’opportunité de notre soutien à cette cause.

1. Quelles ont été les (principales) affaires révélées par Wikileaks de sa création à 2011, ainsi que la chronologie de l’affaire Assange ?

  • 2006 : WikiLeaks rapporte que le cheikh Hassan Dahir Aweys aurait ordonné des assassinats de membres du gouvernement somalien, une information qui a suscité des questions sur sa véracité, avec des suggestions selon lesquelles cela pourrait être de la désinformation américaine.

  • Août 2007 : une affaire de corruption au Kenya éclabousse le président en place. Un rapport commandé à la société britannique Kroll Associates par le nouveau président Mwai Kibaki dévoilait un détournement, par son prédécesseur Daniel arap Moi, de plus de deux milliards de fonds publics blanchis à Londres, à New York, en Afrique du Sud, en Australie. Soutenu par Daniel arap Moi dans la campagne de sa réélection, Mwai Kibaki enterre le dossier. Révélé par WikiLeaks, il fait la une du Guardian et modifie le cours des élections. Quelques années plus tard, seront assissinés à Nairobi John Paul Oulu et Oscar Kamau Kingara, militants des droits humains impliqués dans la rédaction du rapport sur cette affaire de corruption.

  • Novembre 2007 : WikiLeaks publie le manuel des règles et procédures de la force opérationnelle qui dirige le camp de Guantanamo.

  • Décembre 2007 : WikiLeaks reçoit le rapport classifié de l’armée américaine sur la bataille de Falloujah en Irak (2004), qui confirme le rôle de Donald Rumsfeld dans la propagande contre la résistance irakienne etl’utilisation de phosphore blanc par l’armée américaine.
    Nota Bene. Ces révélations passant quasiment inaperçues, c’est alors que Assange opte pour une coopération en amont avec les médias de masse. Wikileaks devient une plateforme qui reçoit les révélations, organise le travail de vérification et d’investigation avec les journalistes des grands médias du monde (The New York Times, The Guardian, Der Spiegel, Le Monde et El Païs). C’est la première fois qu’est pratiqué le « partenariat médiatique » par des lanceurs d’alerte.

  • Mars 2008 : WikiLeaks publie les «bibles secrètes de la scientologie», où l’on découvre l’ampleur des réseaux de la secte

  • Septembre 2008 : WikiLeaks révèle le détournement par Sarah Palin (égérie du Tea Party) de sa messagerie privée pour masquer ses affaires politiques - ce qui est illégal aux États-Unis, où la correspondance des élus doit être archivée.

  • Octobre 2008 : WikiLeaks publie la liste des membres du British National Party, qui défend l’« hégémonie de la race blanche »

  • Juillet 2009 : WikiLeaks publie la liste des emprunts douteux contractés par la principale banque islandaise, Kaupthing, avant son sauvetage à la suite de la crise des subprimes. La « révolution des casseroles » était en partie due au coût du sauvetage bancaire, estimé à 45 000€ par habitant.

  • Novembre 2009 : WikiLeaks publie 570 000 messages issus des échanges sur pagers lors des attentats du 11 Septembre.

  • 2010 : le tournant de Collateral Murder
    WikiLeaks publie une vidéo de l’armée américaine montrant des civils tués gratuitement par un hélicoptère à Bagdad et révèle que la guerre a fait 66 000 victimes civiles, que l’armée américaine avait livré plusieurs milliers d’Irakiens à des centres de détention pratiquant la torture.
    Alors que la Australian Criminal Intelligence Commission préconise d’organiser rapidement la ruine de l’image de Wikileaks et le harcèlement de ses membres, le Pentagone créé une Taskforce de 120 personnes chargées de neutralisées Wikileaks.

  • Juillet / Octobre 2010 : le travail de Wikileaks se poursuit en partenariat avec The NYT, The Guardian et Der Spiegel qui publient des enquêtes fondées cette fois sur les journaux de guerre irakiens et afghans. Ce sont ces supports médiatiques qui sont chargés d’expurger les informations qui représenteraient une menace pour autrui.

  • Durant l’été, Julian Assange se rend an Suède à l’invitation d’une association sociale-démocrate pour une conférence. Il loge pendant une semaine chez une salariée de l’association. Il a des relations sexuelles avec elle et avec une autre femme, cela sans protection. Alors que les victimes souhaitent l’obliger à faire un test de dépistage, un mandat d’arrêt pour « agression sexuelle » et « viol mineur » est lancé par la police suédoise avant d’être révoqué puis rouvert.

  • Octobre 2010 : WikiLeaks commence la révélation de télégrammes de la diplomatie américaine. C’est l’opération « Cablegate » où plus de 250 000 documents sont révélés par cinq grands journaux partenaires.
    La méthode est toujours la même : les télégrammes sont été expurgés par les journalistes qui travaillent sur ces articles et les expurgations sont ensuite examinées par au moins un autre journaliste ou rédacteur. Enfin, Wikileaks examine les échantillons fournis par les autres partenaires pour s’assurer que le processus fonctionne.

  • Novembre 2010 : dans une interview au magazine Forbes, Julian Assange annonce qu’il va rendre public des documents concernant des banques. Alors que le collectif Anonymous lance une attaque contre des géants du paiement bancaire, ils trouvent un document appelé « La menace Wikileaks » décrivant comment affaiblir le site fondé par Julian Assange, par des méthodes peu orthodoxes, et parfois illicites. C’est la publication des quelques 40 000 courriels de HBGary piratés par des Anonymous qui a permis de découvrir ces propositions pour le moins étonnantes.

  • Decembre 2010, à propos des 250 000 télégrammes diplomatiques américains, la secrétaire d’État Hillary Clinton dénonce une « attaque contre les intérêts diplomatiques américains », « pour Washington, les révélations de Wikileaks sont un crime (…) « une attaque contre la communauté internationale » et les personnes responsables de ces fuites devaient être « poursuivies agressivement ». En France, Michèle Alliot-Marie, ministre des Affaires étrangères du Gouvernement FIllon juge « ces révélations totalement irresponsables » et les condamne « sans aucune restriction ». Le New York Times reprend le terme de l’Amiral Mike Mullen : Wikileaks aurait du sang sur les mains en révélant de tels secrets sur l’armée américaine.

  • Décembre 2010 : la Suède réclame l’extradition de Julian Assange à l’appui d’un mandat d’arrêt européen. 5 jours plus tard, il se présente à Scotland Yard et il est incarcéré à la prison de Wandsworth.
    Il sera libéré sous caution et surveillé.

  • En 2011, des télégrammes de l’opération Cablegate non expurgés réapparaissent suite à la divulgation par deux journalistes d’un mot de passe (au détour d’une anecdote dans leur livre) permettant de décrypter des archives copiées par un ancien porte-parole allemand de Wikiileaks, à l’origine d’un nouveau projet.

Dès lors, Wikileaks sera accusé d’être irresponsable, et même d’être une menace pour les journalistes.
Concernant les révélations de Wikileaks après 2011, elles ont été encore nombreuses, des Kissinger cables, aux MacronLeaks, en passant par les courriels de Hillary Clinton qui auraient pu contribuer à sa défaite à la Maison Blanche.

Parallèlement, craignant d’être envoyé aux Etats-Unis par la Suède, Julian Assange épuise tous les recours devant les Cours britanniques et finit par trouver asile à l’ambassade d’Equateur à Londres en juin 2012. Il y passera 6 ans, confiné dans 20m2, surveillé par la Police de Scotland Yard chargé de l’arrêter s’il mettait un pied dehors.
Malgré un avis en février 2016 du groupe de travail des Nations-Unies sur la détention arbitraire, Assange fut enfermé jusqu’au 11 avril 2019 dans cette Ambassade.
Après que Wikileaks ait révélé l’existence d’un compte secret au Panama, au nom de la famille Moreno,, le Président équatorien Lenin Moreno met fin à l’asile de Julian Assange et c’est ainsi qu’il autorisa la police britannique à pénétrer dans l’Ambassade pour se saisir de lui brutalement et le placer en détention dans la prison de haute sécurité de Belmarsh. Assange y croupit depuis 5 ans.

2. Quelles sont les suites pour Assange et pour Wikileaks ?

Assange est écroué depuis le 11 avril 2019 sans voir la lumière du jour. Il est enfermé dans sa cellule vingt-trois heures sur vingt-quatre, et son unique heure de « promenade » se déroule entre quatre murs, sous l’œil des ­gardiens.
Si l’administration Obama a bien sûr enquêté sur les journalistes de WikiLeaks de 2010 à 2016 pour finalement ne rien tenter contre eux, c’est l’administration Trump qui a lancé les poursuites et demandé l’extradition de julien au Royaume-Uni.
Ce qui est reproché à l’ancien responsable de Wikileaks est d’avoir activement recherché des documents et d’avoir ainsi incité Chelsea Manning a révéler des documents classifiés. C’est donc une inculpation en vertue de l’Espionnage Act, alors même que Chelsea Manning a toujours été catégorique. Après avoir rappelé qu’elle avait déjà exprimé tout ce qu’elle avait à dire sur les documents au cours de son procès devant la cour martiale en 2013, elle écrit dans son livre : « Je persiste à assumer l’entière et seule responsabilité des divulgations de 2010 », niant ainsi avoir agi sur instruction de WikiLeaks.

Même si de nombreuses voix ont exhorté le président des Etats-Unis, Joe Biden, à abandonner les dix-huit chefs d’accusation retenus contre Julian Assange durant le mandat de Donald Trump, en vertu d’une loi de 1917 sur l’espionnage notamment en raison de l’état de santé de ce dernier, Assange, sa famille et ses avocats se battent toujours pour empêcher l’extradition vers les USA où il n’est pas exclu la prison à vie ou la peine de mort.

Le dernier recours en Grand-Bretagne a donné lieu à une décision en demi teinte le 26 mars dernier. Appelés à se prononcer sur la possibilité d’une ultime audience en appel pour contester l’extradition, les magistrats ont décidé de donner trois semaines au gouvernement américain pour apporter les éléments garantissant, notamment, que sa nationalité australienne ne lui serait pas préjudiciable lors d’un éventuel procès aux Etats-Unis ; que la peine de mort ne serait pas demandée à son encontre ; qu’il pourrait bénéficier de la protection du premier amendement de la constitution américaine – qui protège la liberté d’expression – de la même manière qu’un citoyen américain.

Si la justice britannique considère que les garanties ne sont pas présentes, alors une nouvelle audience sera organisée pour débattre à nouveau de la légitimité de la demande d’appel de Julian Assange.
Si les garanties sont effectives, alors l’audience en appel aura lieu et une décision sera prise sur le fond.

Conclusion : Quelles sont les critiques adressées à Assange et doivent-elles le priver de soutien ?

- Julian Assange soutiendrait la Russie
En 2012, The Guardian avait reproché à Julian Assange d’être l’idiot utile du Kremlin.
En cause, le fait qu’il anime l’émission The World Tomorrow, également diffusée sur la chaîne TV Russia Today (RT). Or The World Tomorrow n’était pas un partenariat entre WikiLeaks et RT, mais une production indépendante dont RT avait acquis la licence de diffusion.
La critique du Guardian était également excessive si l’on considère que, à peine un an et demi plus tôt, WikiLeaks avait rendu publics des télégrammes dans lesquels la diplomatie américaine dépeignait la Russie comme « un État mafieux ».
A lire sur le sujet : Si Assange s’appelait Navalny, par Serge Halimi & Pierre Rimbert (Le Monde diplomatique, novembre 2021)

- Julien Assange a été accusé de viol
C’est vrai, il a fait l’objet de poursuite pour « viol mineur » et « agressions sexuelles » pour avoir eu des relations sexuelles sans protection avec deux femmes.
Tous les actes d’enquête ont été épuisés sans apporter les preuves requises pour une condamnation.

- Julian Assange aurait choisi de faire fuiter des informations mettant en danger des journalistes
Les informations mettant en danger des personnes dans l’affaire des télégrammes de l’opération Cablegate sont la conséquences de données non expurgées diffusées contre la volonté de Wikileaks (voir ci-dessus les circonstances en « Décembre 2010 »). Pour tenter de mettre à l’abri les personnes visées par la fuite, Julian Assange procède à une diffusion ciblée en demandant à ce que le Département d’Etat (Hillary Clinton à l’époque) fasse le nécessaire pour protéger les personnes : cela a été refusé.
Vu le contentieux entre J. Assange et H. Clinton, on comprend mieux certains tweets borderline.

En conclusion, je partage l’avis des rédacteurs en chef et directeurs de la publication des cinq journaux avec lesquels Wikileaks a travaillé durant de nombreuses années pour alimenter des investigations essentielles.

Cette tribune s’appelle « Publier n’est pas un crime » :

« Recueillir et diffuser des informations sensibles constitue de même une part essentielle du travail de journaliste au quotidien, lorsque cette divulgation s’avère d’intérêt public. Si ce travail est déclaré criminel, alors non seulement la qualité du débat public, mais aussi nos démocraties s’en trouveront considérablement affaiblies.
Douze ans après les premières publications liées au « Cablegate », le temps est venu pour le gouvernement des Etats-Unis d’abandonner ses poursuites contre Julian Assange pour avoir publié des informations secrètes. »

J’espère du fond du cœur que nous, Pirates français, seront de ce combat pour la liberté d’informer à l’instar de nos eurodéputés.


Sources (hors liens dans le texte) :

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Merci pour ces éclaircissements, je n’avais pour ma part jamais été regardé tout ça dans le détail.

Je pense que le plus important reste de ne pas en faire un débat sur ce que ça n’est pas, ce n’est pas un débat pour ou contre Assange, c’est la mise en lumière d’un cas pour défendre des idéaux chers au Parti Pirate et de Wikileaks comme tu le cites très justement :

Ce débat est également là, à mon avis, pour défendre une vision non dogmatique du Parti Pirate vis à vis de la justice et des droits de l’être humain. Cette personne aurait pu faire les pires crasses du monde qu’il ne mériterait toujours pas le traitement qu’il a subit et continue de subir. Je pense que notre capacité à rester droit dans nos bottines là dessus fait du nous le Parti que nous sommes.

Le message est simple, il suffit de ne pas le perdre de vue.

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Hey,
Joli taff, bravo !!
Merci

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Quand la machine mondiale (américaine notamment concernant l’occident, mais seulement americaine bien sûr) à censurer, à ostracisme, à s’acharner, à détruire un individu s’enclenche, elle est impitoyable.

Julian Assange en est des exemples les plus médiatique et flagrant, mais beaucoup de personnes, plus ou moins connus et médiatisés en font les frais.

Pour la liberté d’expression, effectivement c’est important de le(s) soutenir.

Merci beaucoup! Très utile d’avoir tous ces éléments, clairs et exhaustif. Bravo

Le 20 mai aura lieu l’audience qui fixera la fin du combat ou la saisine de la CEDH à Strasbourg. Autant dire que l’issue est sans surprise et que le PP, en cohérence avec la projection organisée par le parti, sera largement attendu à Strasbourg (salle comble et questions à n’en plus finir notamment sur l’organisation militante lors de l’instruction devant la CEDH). Or s’il n’est pas question d’aller plus loin pour l’instant puisqu’il existe des lignes rouges (à la liberté de la presse???), je pense qu’il faudrait quand même organiser le live le tôt possible et avant le 20 mai.

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