De la gratuité des transports en commun

usage droit à l’oubli 16/01/2024

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Pour en revenir sur la discussion des transports en commun gratuit et des effets d’annonces

https://twitter.com/KarimaDelli/status/1234029345208963074

« ouais c’est super \o/ »(modifié)

https://twitter.com/Driving_North1/status/1234059713500909568

Démontage et explication : l’enfer est pavé de bonnes intentions

Je ne dis pas ici que les transports en commun gratuits c’est mal, juste que justement il faut faire attention au mode de financement. Ici le Luxembourg profite de sa petite taille et du fait d’être un prédateur d’impôts frontaliers.

Bonjour,

Ca fait un petit moment que je m’intéresse au Parti Pirate, surtout par ce que c’est le seul parti en France à parler de démocratie, mais je ne savais pas trop par quel bout le prendre : le fonctionnement du site est complexe, au moins en apparence, et on ne voit pas très bien où ça mène !

Coup de bol, je tombe sur cette discussion sur la gratuité. Il se trouve que je travaille sur les politiques publiques de transport. Commençons par là… (désolé c’est un peu long !)

L’état des lieux du débat que tu donnes est parfait et contient l’essentiel : la gratuité est un choix politique, qui définit la quantité et la provenance des financements des transports en commun.

Les transports en commun sont principalement un outil utilisé comme :

  • réponse sectorielle au problème de la congestion des villes (solution de mobilité à un problème de mobilité)
  • réponse sanitaire et écologique aux externalités des transports (pollution locale et forceurs climatiques émis par les véhicules individuels)
  • réponse sociale au problème d’accessibilité (aux services, à l’emploi, à la culture, …)
  • objet socio-technique qui favorise une forme de vivre-ensemble : règles de conduites partagées, espaces partagés, financement partagés.

Donc la question de la gratuité, c’est :

  • Veut-on favoriser les transports en commun ? A quel titre ?
  • Est-ce que la gratuité est la meilleure manière d’y parvenir ?

Au vu des contraintes de la biosphère, on sait que les pratiques de déplacement actuelles (qui reposent essentiellement sur le véhicule individuel) ne sont pas soutenables, même en intégrant les innovations techniques à moyen terme (électromobilité, hydrogène, voiture autonome, …). On a donc le choix entre (1) réduire les déplacements, (2) augmenter la part des transports en commun, ou (3) inventer de nouvelles pratiques de déplacement (vélo, covoiturage, numérique …). Personnellement, je me refuse au (1) comme unique horizon. Par ailleurs, les nouvelles pratiques reposent toujours sur une complémentarité avec les transports en commun (le cas du covoiturage aux Etats-Unis est un bon exemple). Il faut donc utiliser les transports en commun. (Historiquement, on sait aussi que les transports en commun ne sont pas capable de répondre à tous les besoins : je suis donc plutôt favorable à un mix (1)+(2)+(3) mais ce n’est pas important pour le débat que l’on a ici.)

Maintenant, quels sont les effets de la gratuité ? Est-ce qu’ils permettent réellement d’aider les transports en commun à atteindre les objectifs qu’on leur donne ?

En France, le prix des billets est relativement faible. Quand ils existent, il est toujours moins cher de prendre les transport en commun que d’utiliser une voiture. C’est donc par confort (ou, si l’on préfère, « nécessité ») que l’usage du véhicule individuel est dominant. Cela s’accompagne d’une représentation très éloignée de la réalité sur le coût d’usage d’un véhicule (notamment à cause du différentiel coût total/coût marginal). La gratuité ne changera pas cette équation. Pire, elle produira ce que l’on appelle de la « mobilité induite » : parce que c’est gratuit, des gens qui marchaient ou qui prenaient le vélo utiliseront les transports en commun, participant éventuellement à leur saturation. Ce serait donc plutôt par une amélioration substantielle de l’offre, et donc une augmentation de l’investissement (qui pourrait passer par une augmentation du prix du billet), que passerait l’accroissement de l’usage des transports en commun.

Mais le « choix modal » est plus affaire de représentation que de calcul économique, et c’est un choc de représentation plutôt qu’un choc économique qui permettra de développer les transports en commun. Avec un portage politique adéquat, la gratuité peut constituer ce choc, et avoir des effets positifs sur les pratiques de mobilités sur le long terme. En faisant passer les transports en commun de service public à bien commun, elle en fait la solution par défaut de mobilité. Le véhicule individuel devient un luxe, donc plus facile politiquement à réguler si nécessaire (et c’est nécessaire). Les pratiques individuelles de mobilité doivent donc faire la preuve de l’acceptabilité de leurs externalités (émissions, usage de l’infrastructure) pour être autorisées. A priori, aucun risque pour le vélo par exemple. En contrepartie, cela produit un système de déplacement plus centralisé où les usagers doivent passer par les institutions politiques (qui organisent les transports en commun) pour garantir l’effectivité de son droit à la mobilité (via la présence d’un arrêt près de chez lui, en gros). Par ailleurs – mais c’est important – la gratuité sera une mesure sociale et garantira un droit à une mobilité minimale pour les personnes économiquement défavorisées.

La gratuité des transports est donc un changement de paradigme social à la mesure de l’impasse environnementale dans laquelle nous nous trouvons. Il permet de passer d’une dépendance énergétique (donc économique) qui soutenait une illusion d’indépendance politique, à une dépendance uniquement politique qui permet de faire collectivement le choix de la dépense énergétique.

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usage droit à l’oubli 16/01/2024

usage droit à l’oubli 16/01/2024

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Un bon débat sur la question :

La vidéo est très intéressante car elle rassemble bien toutes les problématiques sur ce sujet plus complexe qu’il n’y paraît. Je vais avoir un propos par rapport à la Ville et l’agglo de Besançon (respectivement 120K et 200K habitants) dont je suis élu et où ce débat fait rage :

  • l’agglo de Montpellier peut le financer (35 à 40 millions d’euros) je n’ai plus les éléments pour l’expliquer mais cette agglo à des spécificités pour le faire que d’autres agglo ne peuvent pas
  • à Besançon, la gratuité représenterait plusieurs millions d’euros, dans les 2 budgets d’une collectivité (Investissement et fonctionnement) c’est le fonctionnement qui est le plus mis à mal. Si Besançon choisissait la gratuité, quels services publics supprimerions nous ? Une piscine ? Une salle de sport ? Un lieu culturel ? On grève les salaires de tous les agents ?
  • A Dunkerque en effet, seuls 8% des automobilistes ont basculé, c’est dommage d’avoir moins de piétons et de cyclistes et de passer à côté de plusieurs millions de recettes. Les marques automobiles insistent beaucoup sur le confort intérieur de leurs véhicules, comme un prolongement de leur maison. Qui est prêt à passer de sa petite voiture, avec laquelle les horaires sont souples, le coffre de transporter des charges lourdes sans effort, à l’inconfort d’un bus, pas beau à l’intérieur, avec du monde autour, etc. A 10:45, l’intervenante l’explique bien. Même si les jeunes préfèrent mettre leur argent ailleurs ce qui est un motif d’espoir
  • Quelle agglo est prête à la fois à avoir moins de recettes et en même temps continuer de maintenir, remplacer, développer les infrastructures de transport ? En sachant qu’avec la hausse de l’énergie et de la matière première, ainsi que les salaires des employés, j’ai hâte de voir comment la ville de Montpellier va s’en sortir

Au rayon des points positifs :

  • à 6min les effets induits sont intéressants, on change l’aspect des villes (comme à San Francisco). La carte postale est plus belle, vous pouvez esperer attirer plus de touristes, d’habitants, d’entreprises etc. > RECETTES
  • Une entreprise pourrait choisir de s’installer dans une ville où ses salariés pourront voyager gratuitement, pour un futur habitant cela peut être un choix préférentiel > RECETTES
  • on réduit le budget voirie (moins d’usures des routes) > ECONOMIE
  • l’impôt supplémentaire est à relativiser, le versement transport jusqu’à 2% reste une dépense très raisonnable à supporter pour une entreprise
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